Je vois plusieurs personnes s'étonner de l'absence de placebo dans le groupe contrôle de l'essai Discovery, parfois pour la critiquer et sous-entendre que finalement ce n'est pas bien mieux que ce qu'a produit Didier Raoult.

Alors, est-ce vraiment n'importe quoi ?
Avant de répondre à cette question, on va s'attarder un moment sur les effets contextuels, ou effet placebo.

Globalement, il s'agit de tous les éléments contextuels dans le cadre d'une maladie ou de divers symptômes qui peuvent servir d'explication à l'évolution de la situation.
Il y a plusieurs approches possibles à ces effets. La première est dans le cadre d'une pratique médicale ou de soin, où l'on va chercher à optimiser ces effets pour que le patient se sente mieux, adhère au traitement s'il est lourd, ou même maximiser son efficacité.
Une autre façon est de les voir comme objet d'étude pour comprendre leurs mécanismes psychologiques, biologiques, et leur pertinence clinique.

Par exemple, est-il utile de donner un comprimé juste pour le principe ? Plutôt pas.
https://www.cochranelibrary.com/cdsr/doi/10.1002/14651858.CD003974.pub3/full
Une troisième est quand on va chercher à tester l'efficacité d'un traitement, où l'on va les voir plutôt comme des sources de biais pouvant influencer les résultats et l'interprétation qu'on va leur donner.

Comme on va parler de Discovery, c'est de celle-ci qu'on va parler.
Le principe, c'est qu'en plus de l'effet possible d'un traitement, de nombreux éléments entrent en jeu.

Pour bien comprendre, imaginons qu'on souhaite déterminer si un voilier est plus rapide qu'un autre. Si vous faites simplement deux fois le même trajet, ce ne sera pas fiable.
Par exemple, si lors du premier trajet, la direction du vent vous permettait d'avoir une meilleure allure, le résultat risque d'être biaisé en faveur du premier voilier. Il faudrait donc au moins faire le trajet sous les mêmes conditions météorologiques.
Votre but est donc d'isoler autant que possible les facteurs non spécifiques de ceux que vous cherchez à évaluer.

Pour tester un traitement, un élément important est l'évolution spontanée de la maladie, ou la régression à la moyenne en stats, ce qui se passerait de toute façon.
C'est de ça qu'on parle quand on fait la blague sur le rhume qui guérit en 7 jours sans traitement, et en une semaine avec. Ou quand on dit que la large majorité des malades du covid guérissent spontanément.
Quand tout le monde décède, on ne se pose pas la question, vous sauvez quelqu'un et c'est banco. Sinon, comme c'est le cas heureusement ici, vous avez besoin d'un groupe contrôle pour évaluer ce qui se passe sans traitement.

Malheureusement, ça ne s'arrête pas là.
Si simplement donner un médicament n'est pas forcément pertinent, cela peut influencer le résultat quand rien n'est donné au bras contrôle, entre autres par l'attitude des soignants, ou en cas de placebo s'ils savent qui a le vrai traitement.
Ce qu'on appelle le performance bias.
Faute d'une traduction adéquate, je garderai le terme anglophone. Je vous conseille également cette excellente fiche : https://catalogofbias.org/biases/performance-bias/

Ce biais, parmi d'autres raisons, justifie que l'on cherche en général à mettre en place un protocole en double aveugle.
Il ne faut cependant pas surestimer son influence et ce biais pose surtout problème avec des mesures subjectives ou des retours de patients. Cela s’explique car les effets contextuels agissent surtout sur le ressenti. J’en avais déjà parlé dans ce thread : https://mobile.twitter.com/CitronAlcalin/status/1024248722077691904?s=19
C’est pour ça que parmi d’autres personnes je suis assez sceptique concernant l’acupuncture où les meilleurs résultats sont plutôt faibles, en simple aveugle, et souvent sur des évaluations subjectives comme la douleur, en laissant donc toute la place au performance bias.
C’est moins problématique sur des mesures objectives qui sont en général moins sensibles à ces facteurs contextuels et c’est là-dessus qu’on peut au moins partiellement compenser en absence de double-aveugle.
Regardons enfin Discovery, dont on peut lire ici la description : https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT04315948

5 groupes, 4 traitements différents, avec une différente posologie, et un groupe contrôle sans placebo. Tous bénéficient de soins en fonction des besoins, personne n'est laissé sans rien.
Première remarque, il aurait été compliqué de mettre en place un placebo et du double aveugle ici. Comme on a 4 traitements, c’est compliqué d’avoir un placebo qui puisse correspondre à chaque posologie, à moins de faire un groupe pour chaque.
Ce n’est en soi pas une excuse car les biais ne disparaissent pas pour autant, mais c’est aussi une explication à prendre en compte.

Regardons maintenant d’un peu plus près les critères d’évaluation qui concernent surtout la sévérité et l’aggravation de la maladie.
Pas de retour des patients ici, on a certes une part de jugement des médecins concernant la situation des malades, mais on a quand même des critères plutôt objectifs. Pour la robustesse vis à vis de l'influence du performance bias, c'est plutôt du lourd.
Que ce soit sur les critères primaires ou secondaires : on compte les hospitalisations et leurs besoins, les décès, les effets secondaires ou même des taux de concentration dans le sang. Dans l'ensemble c'est pas là qu'on a une grande sensibilité aux effets contextuels.
Autrement dit, s’il y a effectivement la présence d’une forme de performance bias ici, on a ce qu'il faut pour en limiter au maximum l'influence sur les résultats. On aurait sans doute pu avoir un placebo, mais seulement en simple aveugle au mieux.
Il y a aussi d’autres problèmes envisageables sur cet essai. Par exemple il faut pouvoir garantir l’équité dans les soins standards dans les différents établissements, ou au moins avoir à chaque fois une bonne répartition des groupes.
En conclusion, ne pas avoir de placebo et de double aveugle ici, qui aurait de toute façon très difficile à avoir, ce n’est pas n’importe quoi, c’est même tout à fait compréhensible.

Et cela ne doit pas nous faire oublier les forces de cet essai.
En particulier le large effectif qui nous permet d’avoir un très bon groupe contrôle, de tester plusieurs traitements potentiels pour avoir des résultats assez rapidement et de s'adapter au besoin.
Quand on pense au gâchis organisé à Marseille et à tous ceux qui nous expliquent que l’on ne peut rapidement organiser d’essais corrects, on est très content d'avoir l'Inserm pour montrer l'exemple (même sans groupe placebo).
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