En ce jour de Pâques où les Chrétiens célèbrent le mystère de la Résurrection du Christ, je vous présente une synthèse de l'iconographie médiévale de la Résurrection en Occident.

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1. Durant le haut Moyen Âge, c'est la Visite des Saintes Femmes au Sépulcre qui illustre presque tjrs la R. ds l'Occ. latin, tandis que ds le monde byzantin, c'est la Descente aux Limbes/enfers (Anastasis) qui s'impose et prédomine. Ces deux types icon. ne seront pas traités ici.
2. Nous ne ns occuperons ici que d'un type particulier au monde latin, qui y naît & s'y développe à partir du 12e s. : le R. sortant de son sépulcre (selon des modalités diverses) - et ce jusqu'au début du 16e s. (avec cependant qques timides ouvertures sur l'art post-tridentin).
3. Mais avant d'en venir aux différentes solutions que l'art du Moyen Âge a imaginées pour figurer le R. sortant de son tombeau, commençons par présenter brièvement les éléments structurant ce type icon. : le R. (4-9), le tombeau (10-16), les gardiens (17-19) & les anges (20-22).
4. Commençons par la figure du R. Presque tjrs, il bénit de la main droite & porte une croix triomphale munie d'une bannière ds sa gauche, en signe de sa victoire sur la mort. Il est aussi svt revêtu d'un vêtement pourpre, symbole impérial, ou blanc (signe de sa glorification).
5. La théologie chrétienne repose sur un équilibre fragile entre la nature & la surnature : Jésus est à la fois vrai homme & vrai Dieu. En figurant le R., il fallait donc traduire la matérialité de son corps de chair tout comme ses nouvelles capacités nées de sa glorification.
6. Comme Jésus pour convaincre Thomas, l'apôtre incrédule (Jn 20), on montra donc les stigmates du R., plus ou moins sanglantes [a&b], pour affirmer qu'il était bien revenu avec son corps véritable. Parfois, on ajouta les plaies de la flagellation & la couronne d'épines [c&d].
7. Quelquefois, Jésus porte non pas la couronne d'épines, mais une couronne précieuse, royale, afin de magnifier la souveraineté universelle du R., qui siège "à la droite du Père". On verra par la suite d'autres moyens figuratifs employés pour illustrer la puissance divine du R.
8. On retiendra donc bien cette tension dialectique entre la corporéité matérielle du R. & sa divinité transcendante. Avec pour résultat des images hiératiques qui s'emploient à illustrer sa gloire céleste, quand d'autres s'avèrent d'une veine plus naturaliste, presque prosaïque.
9. Ainsi, v. 1430, 2 peintres allemands représentent la R. d'une manière bien différente. L'un montre le R. s'esquivant furtivement par l'arrière du sépulcre ouvert [a], quand l'autre le figure traversant par miracle le sarc. scellé grâce aux capacités de son corps glorieux [b].
10. Venons-en maintenant au sépulcre. Jusqu'au début du 12e s., c'est l'antique édifice bâti par Constantin à Jérusalem qui servit de modèle : il s'agit donc d'un édifice dont la base rectangulaire est surmontée d'un étage circulaire à colonnade, lui-même coiffé d'une coupole.
11. À partir du 12e s., c'est généralement sous la forme d'un sarcophage qu'est figuré le monument funéraire, svt posé à même le sol [a], parfois surélevé sur des colonnettes [b&c]. Peut-être les sarcophages paléochrétiens, ou les rites funéraires ont-ils inspiré ce changement.
12. Jusqu'à la fin du 14e s., le sarc. est figuré avec son côté long parallèle au plan de l'image, en occupant presque tte la largeur [a]. Ce n'est qu'au 15e s. que sa longueur se déploie plus fréquemment dans la profondeur de l'image, contribuant à en varier l'agencement [b&c].
13. Jusqu'à la fin la 13e s., le sépulcre est d'ordinaire représenté ouvert. Son couvercle est renversé au sol, devant/derrière ou ds la cuve du sarc. [a], ou n'est pas visible [b]. À partir du 15e s., il est parfois en biais sur le tombeau béant, le R. ou un ange dessus [c&d].
14. Le motif du sarc. fermé se trouve qquefois au 13e s., mais il se répand surtout après le milieu du 14e s., peut-être grâce à la popularité de certains ouvrages de piété (cf. 15.). Vers 1320, on le rencontre déjà en Italie [a&b] & il est fréquent en Allemagne au 15e s. [c&d].
15. La «Légende dorée» compare la sortie du tombeau à la sortie du sein virginal lors de la Nativité : les deux sont restés intacts. Pour illustrer cette croyance, on représenta le sarc. non seulement fermé, mais aussi scellé. Ce motif se diffuse au 15e s., surtout en Allemagne.
16. Plus rare & tardif est le sépulcre figuré sous la forme d'une cavité creusée ds le roc, comme l'atteste le récit des évangiles (Mt 28:60). Il peut être ouvert [4c&a] ou fermé [b&c]. Qquefois, on trouve un type mixte : le sarcophage est alors situé ds une cavité rocheuse [d].
17. Passons maintenant aux soldats qui gardèrent le tombeau de Jésus la nuit de sa R. (Mt 27:66). Si leur représentation est très fréquente, leur nombre est quant à lui assez variable : 2 à 4 en moyenne jusques vers 1350 [a&b], plus nbreux voire même innombrables au 15e s. [c&d].
18. Aux 13e & 14e s., les gardes, svt de petite taille, sont allongés ou accroupis devant le sépulcre, au 1er plan [b&c]. Parfois aussi, ils sont "comprimés" 𝘴𝘰𝘶𝘴 le sarc., enclavés ds une structure gothique [a&d]. Ils sont figurés endormis : la R. a lieu durant leur sommeil.
19. On s'avisa bientôt qu'il fallait réfuter les Juifs qui prétendaient que les disciples avaient enlevé le corps du tombeau (Mt 28:11-15) : on représenta alors 1 ou plusieurs gardes éveillés [a&b]. Au 15e s., ils montrent svt de la crainte ou de la stupeur face au miracle [c&d].
20. Autres acteurs fréquents : les anges. Aux 13e & 14e s., ils ont svt une fonction liturgique : revêtus d'une aube, ils encadrent le R., pour l'adorer en prière [18b&d] ou en utilisant encensoir & chandelier [a,b&c]. Il y a là probable influence des offices pascaux [cf. txte].
21. Les autres rôles réservés ordinairement aux anges sont plus anecdotiques. Sur une fresque du 14e s., ils jouent de la musique (c'est un 𝘩𝘢𝘱𝘢𝘹) [a]. Quelquefois, ils désignent le suaire [7c&b] ou déplacent le lourd couvercle du sarc. pour permettre au R. de sortir [c&d].
22. Bien que les «Meditationes Vitæ Christi» affirment que la R. eut lieu en présence de nombreux anges (cf. 15.), il est rare avant le 16e s. d'en trouver plus de 2. C'est le baroque qui développera ce motif, avec son goût pour les grandes perspectives célestes peuplées d'anges.
23. Venons-en à notre seconde partie, qui est une typologie sommaire des différentes manières dont a été représentée la sortie du tombeau. Les premiers exemples s'en trouvent ds des psautiers byzantins du 9e au 11e s., où le R. apparaît comme une vision prophétique du roi David.
24. Le R. y est montré debout près de l'entrée du sépulcre [a,b], en sortant [c], ou encore couché dedans, en train de se redresser [d]. Ce sont ces brèves illustrations marginales (sans postérité dans le monde byzantin) qui ont donné la première impulsion au type occ. de la R.
25. Un Psautier du 9e s. figurant le R. couché ds son sépulcre semble déjà s'inspirer de modèles byzantins [a]. Si on trouve d'autres ex. de ce motif au 12e s. et même plus tard, sur un chapiteau de Toulouse [11b] & ds quelques miniatures [11c, b&c], il n'aura guère de postérité.
26. L'icon. de la R. des morts au Jugement Dernier a pu aussi influer sur ce type de représentation [a]. Ainsi, ds un Ps. anglais du 14e s., R. du Christ & R. universelle sont figurées semblablement sur le même folio, car la première est le prototype & le gage de la seconde [b].
27. La R. des morts a peut-être aussi inspiré ce qu'on considère être le point de départ de l'icon. occ. du R. émergeant de son tombeau, une miniature où il est figuré à mi-corps ds son sarc. [a]. Si on trouve ce motif au début du 13e s., il n'a pas eu de postérité notable [b&c].
28. Une variante se développe au 12e s, où le R., toujours debout ds le sarc., semble entièrement tendu vers le haut : il a les mains comme le regard orientés vers le ciel, où il aspire à rejoindre son Père. L'influence du type icon. ancien de l'Ascension est ici évidente [10a].
29. Cependant, le plus fréquemment, le R. est représenté debout à côté du sarc. Il y figure régulièrement ds une immobilité majestueuse, presque statuaire [a]. Svt au milieu des soldats, sa monumentalité est valorisée par contraste avec les gestes des gardes effrayés [16c, b&c].
30. Ds le domaine germanique, Schongauer et Holbein l'Ancien, au tournant du 16e s., portent ce type à son maximum d'intensité : ils représentent le R. debout sur le socle du sépulcre, dans une frontalité hiératique absolue, au premier plan de l'image [b] ou peu s'en faut [a&c].
31. En France, en Espagne ou en Italie, le R. est souvent figuré debout directement sur le sarc. fermé [a&b] ou ouvert [d]. Le tombeau apparaît alors presque comme un piédestal [c]. Ici, c'est sa position surélevée qui exalte le R. par opposition aux soldats armés gisants au sol.
32. Dès l'origine on aspire à figurer la R. comme un processus dynamique. Le R. pose un pied sur le rebord du sarc. et s'apprête à en sortir [a]. Parfois, il tend les mains & le regard vers le haut, comme dans les représentations contemporaines citées plus haut (cf. 28.) [b&c].
33. Si ce type est ici encore proche de l'icon. ancienne de l'Ascension, c'est surtout celui du Christ victorieux (𝘊𝘩𝘳𝘪𝘴𝘵𝘶𝘴 𝘝𝘪𝘤𝘵𝘰𝘳), foulant aux pieds le lion & le serpent (cf. Ps 90:13) [a,b&c], qui a contribué à le doter d'un caractère triomphal fortement marqué.
34. Le tombeau symbolise la mort & Satan : en posant le pied dessus, le R. affirme sa victoire & sa domination. Ce type solennel, où le R. est ordinairement figuré frontalement, se trouve sur le plat d'un évangéliaire de la Sainte-Chapelle [a] ainsi qu'en Italie au 14e s. [b&c].
35. Les artistes de la péninsule le magnifient encore en augmentant le nombre des anges [21c][22a] ou en entourant le R. d'une gloire lumineuse (type mandorle) [a], voire les deux [22b]. Avec Mantegna, il gagne encore en majesté au point d'atteindre une grandeur peu commune [b].
36. L'interprétation d'un P. della Francesca, plus sobre, ne manque pas de profondeur [a]. Le R., au centre, départage le paysage en arrière-plan : hivernal à gauche, printanier à droite ; il est le pivot qui conduit de la mort à la vie. Ce type se fait plus rare après 1500 [b].
37. Venons-en maintenant à la variante qui a connu la plus large diffusion, où le R. enjambe le bord du sarc. Sa version la plus majestueuse représente le R. frontalement, le regard scrutant le spectateur, levant haut sa droite bénissant, sa bannière triomphale flottant au vent.
38. L'influence du «Christus Victor» rapproche ce type du précédent (cf. 33.) : le R. ne «piétine» plus le sarc., mais l'un des soldats ; ce sont eux alors qui symbolisent les puissances du mal [a,b&c]. Sur une miniature, le R. foule du pied un dragon qui tient lieu de garde [d].
39. Au 15e s., le sarc. est figuré de biais & le R. pose désormais pied à terre. Il peut alors soit être saisi ds une sorte d'instantané statique qui préserve sa gravité hiératique [a&b], soit au contraire, appréhendé ds son élan dynamique (il est alors svt de profil) [21d][c&d].
40. On trouve aussi au 15e s. une variante triviale où le pittoresque se substitue au sacré. Le R. sort du sarc. d'une façon incongrue, presque cocasse [a], parfois "à reculons" ! [d] Figuré de dos, il s'esquive furtivement & sans noblesse ds la profondeur de l'image [9a][b&c]...
41. Vers 1300 apparaît un nouveau type, dérivé du précédent, où le R., figuré de face enjambant le rebord du sarc., est saisi dans un instantané tel qu'il semble trôner en majesté. On trouve cette variante ds un groupe statuaire allemand [a], ainsi que ds qques miniatures [b&c].
42. Parfois, le R. s'apprête ou a déjà fini de sortir du tombeau, & il semble assis sur son rebord [a&b]. Ce type n'est pas qu'une simple variante du R. enjambant le sarc. Il en diffère en s'inspirant moins du «Christus Victor» que du «Christus Judex», le Juge eschatologique [c].
43. On le trouve en France au 14e s. ds une version moins hiératique : le R. y est figuré quasiment de profil & son regard se perd de biais [a&b]. En Bavière, v. 1400, il est assis sur le tombeau fermé. Cette variante s'est alors émancipée du type du R. enjambant le sarc. [c&d].
44. Deux exemples allemands déjà cités [9b&15b] relèvent encore du type du R. "trônant" : le Christ y émerge d'un tombeau scellé. C'est qu'on note une aspiration générale au 15e s. à exalter le caractère surnaturel de la R., dont témoignent aussi les ouvrages de piété [15texte].
45. Pour magnifier le prodige, on pouvait donc représenter la subtilité du corps glorieux du R., i.e. sa capacité à traverser la réalité matérielle, comme indiquée d'ailleurs ds l'Évangile (Jn 20:19,26). On en trouve quelques ex. anciens [a], qui se multiplient au 15e s. [b,c&d].
46. Mais c'est en Toscane qu'apparaît un nouveau type icon. qui va exalter la R. ds son caractère surnaturel comme jamais auparavant. Le R. y est figuré flottant au-dessus du sépulcre. C'est une «Résurrection ascensionnelle» (L. Réau) dont l'invention revient à l'école de Giotto.
47. On note effectivement bien des similitudes avec l'Ascension de Padoue de Giotto [a]. On remarquera en particulier le motif de la nuée sur laquelle le Christ s'élève (Ac 1:9), que l'on retrouve dans certaines représentations où le R. flotte juste au-dessus du sépulcre [b,c&d].
48. Si la nuée est svt un attribut des manifestations divines ds l'Ancien Testament (Ex 13:21), la lumière également (Is 9:1). La Transfiguration, sommet de la théophanie lumineuse, a aussi influencé l'icon. de la R. [a&b], où le R. plane couramment ds une gloire radieuse [c&d].
49. Ce «luminisme» est très fréquemment lié à un symbole parlant & universel : le soleil levant. De même que chaque matin le soleil se lève & chasse les ténèbres, de même le R., le "soleil de justice" (Ml 3:20), s'élève pour illuminer l'humanité & la guérir de l'emprise du péché.
50. Par un singulier phénomène de retardement, le type du R. planant est resté du milieu du 14e à la fin du 15e s., presque exclusivement italien. C'est ds son interprétation «luministe», fortement liée au symbolisme solaire, que les pays du Nord le reçurent au tournant du 16e s.
51. Ds une gravure de Dürer, le R. flotte juste au-dessus du tombeau scellé, enveloppé d'une grande nuée lumineuse [a]. Altdorfer, reprend le motif de la nuée lumineuse, mais avec le tombeau ouvert [b]. La gravure de Dürer, très largement diffusée, aura une riche postérité [c&d].
52. On trouve aussi ds l'Allemagne rhénane des années 1510 une interprétation visionnaire, presque hallucinée. Le corps du R. est rendu presque diaphane par la violence de la lumière, au point que ses traits semblent s'y dissoudre [a]. Ses stigmates irradient intensément [a&b].
53. Parfois, c'est le dynamisme du R. qui est souligné [a]. Titien combine ce dynamisme à une symbolique solaire prégnante [b]. Son R. athlétique, dont le corps musculeux s'impose avec une grande force dans la lumière de l'aube, aura une influence durable sur l'icon. postérieure.
54. Mais concluons cet exposé, en ouvrant qques perspectives sur l'icon. post-tridentine de la R. Les théologiens catholiques traitant cette question s'attachent avant tout à la question du sépulcre, qu'ils veulent voir fermé, & des gardes, dont l'un au moins doit être éveillé.
55. La gravure des «Evangelicæ Historiæ Imagines» est l'exemple d'une œuvre qui coche (presque) ttes les cases des directives des théologiens. Publié par un proche d'I. de Loyola, ce recueil "officiel" d'estampes devait servir d'appui aux méditations des «Exercices spirituels».
56. Le tombeau est scellé, et 2 soldats sont ostensiblement debout & éveillés. Et ces 2 faits sont explicités dans la légende (C&D). Par contre, cette R. ressemble beaucoup à une ascension, ce que renforce encore la présence des âmes des justes libérées des Limbes ds les nuées.
57. De fait, les recommandations des théologiens ne seront jamais totalement suivies. On continue à représenter régulièrement le tombeau ouvert [a&b]. Un Tintoret, dans la veine dynamique d'un Titien, figure le R. surgissant vigoureusement d'un sépulcre ouvert par des anges [c].
58. On trouve d'ailleurs encore au tournant du 17e s. des images peu conformes à l'orthodoxie. Un artiste a le mauvais goût de figurer un ange brisant les sceaux du tombeau [a]. Un autre transforme ce même tombeau en une vulgaire table de taverne entourée de soudards ivres [b] !
59. Si le crédit d'un Dürer perdure à la fin du 16e s. [a], c'est la synthèse d'Annibale Carracci qui exercera semble-t-il son ascendant sur les artistes du 17e s. [b]. Il joint le tombeau scellé nordique au dynamisme de Titien, le soleil dardant ses premiers rayons à l'horizon.
Je suis arrivé au terme de ce bref exposé. Merci d'avoir pris la peine de le lire. S'il vous a paru intéressant, n'hésitez pas à retweeter !
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