Bon, parce que je m'emmerde, un petit fil sur la chloroquine (mais pas la chloroquine), et l'application de la stratégie/métaphore guerrière à la pandémie.
En gros : est-ce qu'on sait tout sur la chloroquine ? Non. Est-ce à dire qu'il faut attendre qu'on sache tout pour généraliser ce traitement (ou n'importe quel autre traitement prometteur) ?
Un concept de stratégie militaire auquel je pense de plus en plus depuis le début de cette crise, c'est celui de "OODA Loop," inventé par un de ces génies fous dont je raffole, le légendaire (au Pentagone en tous cas) colonel John Boyd.
OODA, c'est un sigle qui veut dire "Observe, Orient, Decide, Act."

Ca marche avec les mêmes lettres en français : observer, orienter, décider, et agir.

Le concept (et attention on est dans du conceptuel) est que cette boucle résume tout le processus de prise de décision.
D'abord on observe la situation, ensuite on s'oriente (en fait, on analyse la situation), puis on prend une décision, puis on agit. Et puis on revient au point de départ : après l'action, on ré-observe quels ont été les résultats, on s'oriente, etc. etc.
L'idée de la boucle OODA est que, sur un champ de bataille, la victoire appartient à celui qui est capable de "raccourcir" le plus possible sa boucle OODA. L'objectif du chef est de "rentrer dans la boucle OODA" de l'ennemi. Si on est capable d'accomplir sa boucle OODA avant ...
... l'autre, les observations sur la base desquelles il aura pris sa décision ne seront plus vraies au moment de l'action, et il aura donc un métro de retard. Et évidemment, sur un cycle de plusieurs boucles, l'effet s'accroît.
John Boyd a commencé sa carrière comme pilote de chasse pendant la Guerre de Corée et on voit bien le lien avec cette expérience : dans un combat aérien, chacun essaye d'anticiper les mouvements de l'autre, et on conceptualise bien comment un pilote avec une boucle OODA plus ...
... rapide que son ennemi peut prendre l'ascendant en ayant un temps d'avance de prise de décision.
Un des exemples les plus frappants de cet effet OODA, c'est la bataille de France. Lorsqu'on lit les mémoires des officiers français, ce qui frappe c'est à quel point les allemands semblaient toujours être en avance sur les Français. Entre le moment où on voyait les allemands...
... au point A et où on réagissait, les allemands étaient déjà au point A'. Et cet avantage de vitesse était cumulatif, puisqu'un petit décalage au début, s'il persiste sur de nombreux cycles, devient un décalage complet.
Et au bout d'un moment, se rajoute un effet psychologique : l'impression que les allemands sont partout, qu'ils peuvent surgir de nulle part à tout moment, qu'ils connaissent tous nos points faibles et qu'eux n'en ont pas, menant à la sidération et à la panique.
Quel rapport avec un virus, me direz-vous ? Un virus est un être inanimé, il n'a pas de boucle OODA. Mais dans tout processus darwinien, se comporter comme si un acteur était conscient aide à la compréhension et à l'explication, et donc à la prise de décision.
Ma conclusion depuis quelques semaines est que le concept de boucle OODA est parfaitement adapté à la lutte contre un virus puisque celui-ci, par sa nature, progresse de manière exponentielle et, de plus, par sa période d'incubation et le nombre de cas asymptomatique, "furtive".
On peut même dire que, précisément parce qu'il ne réfléchit pas, il a la boucle OODA la plus rapide possible : s'il y a un moyen de s'infiltrer quelque part, il le fera, point.
Venons-en à la chloroquine, ou, si ce mot vous fait d'ores et déjà augmenter la pression cardiaque, appelons-la "Josiane." Par Josiane, j'entends tout remède potentiel dont certains soignants constatent empiriquement qu'il *a l'air* d'être prometteur.
Donc, on a des retours de soignants un peu partout dans le monde qui nous disent que Josiane a l'air d'avoir un effet positif sur pas mal de patients. Que fait-on de cette information ?
Une possibilité, promue avec force par certains, c'est : faire une ou des études dans les règles de l'art, et en attendant, rien.
Mais si on pense en termes de boucle OODA, c'est absolument désastreux. Si son objectif est d'avoir la boucle OODA la plus courte possible, on voudra au contraire déployer Josiane de manière assez large et rapide (et avec des groupes témoins).
On prend la décision et on agit le plus vite possible, et on se met dans une position où on pourra observer les conséquences le plus rapidement, et accomplir la boucle OODA le plus rapidement. Josiane ne marche pas, on arrête. Josiane marche, on généralise.
Ou, le plus probable, Josiane marche dans les cas A, et ne marche pas dans les cas B, et on affine. Et rebelote. En fait Josiane ne marche pas trop dans les cas A', mais très bien dans les cas A" donc on met le paquet sur A". Par exemple.
Il me semble que c'est évidemment une pratique à encourager et à généraliser, pas à condamner. Sur ts les points de la lutte, l'obsession des décideurs devrait être de raccourcir la boucle OODA face à un adversaire dont la boucle est "biologiquement" de minimis.
Je vous laisse avec cette phrase de Teddy Roosevelt: "La meilleure décision à prendre, c'est la bonne décision ; la deuxième meilleure, c'est la mauvaise décision ; la pire, c'est de ne pas décider du tout."
PS Je précise que si je parle de "Josiane" c'est parce que ce qui m'intéresse, ce n'est pas tant la chloroquine en tant que telle, que la prise de décision en temps de crise et en condition d'incertitude profonde.
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