Voilà ce que ça donne pour la France depuis l’entrée dans la zone euro : la charge de la dette, en % du PIB, a été divisée par deux (!), alors que l’endettement a augmenté de près de 40 points de PIB.
On notera que c’est la même chose pour l’Italie, qui a vécu avec une charge de la dette significativement supérieure au niveau actuel.
En ce moment, le coût de financement de l’Etat français à 10 ans se situe ainsi au voisinage de zéro (0,1 au moment où je vous parle) et est même négatif à court terme. Autrement dit, l’augmentation de la dette liée à la crise ne coûtera rien à court terme.
Vous allez me dire : oui mais l’Etat n’est pas un ménage et il doit refinancer sa dette en permanence donc si les taux augmentent plus tard, on sera dans la panade. Je suis d’accord avec cette objection mais regardons si ce scénario paraît probable.
Commençons par le court terme.
La BCE a fermement rappelé son engagement à lutter contre toute hausse du coût de financement des Etats, après une maladresse initiale de sa Présidente. Il est donc très peu probable que les taux augmentent au cours des deux prochaines années.
Quand bien même les taux augmenteraient un peu, la maturité moyenne de la dette publique française est de 7 ans et donc l’effet de cette hausse sur la charge de la dette se matérialiserait très progressivement.
Pour une hausse d’un point du coût de financement, la charge de la dette augmenterait ainsi de seulement 2Md la première année, soit 0,1 point de PIB. L’épaisseur du trait à l’échelle des administrations publiques !
Qu’en est-il à moyen terme ? Là ça devient un peu plus compliqué car il faut s’intéresser à la dynamique de l’endettement.
D’une année sur l’autre, la variation de la dette dépend de 2 facteurs : (i) l’écart entre le taux de croissance nominal (= croissance + inflation) et le taux d’intérêt apparent payé sur la dette ; (ii) le déficit primaire (= déficit public hors charge de la dette).
L’écart entre le taux d’intérêt payé sur la dette et la croissance nominale est donc déterminant : si la croissance nominale est supérieure, il suffit d’être à l’équilibre primaire (ce qui n’est pas très contraignant) pour que l’endettement diminue mécaniquement.
L’effet boule de neige est actuellement favorable pour la France, comme l’illustre l’exemple de 2018. Même avec un léger déficit primaire, on a réussi à stabiliser la dette.
Rappelons au passage que nous sommes le seul grand pays de la zone euro à ne pas être à l’équilibre primaire…
A l’inverse, si la croissance est inférieure au taux d’intérêt payé sur la dette, on a un effet « boule de neige » défavorable : il faut dégager un excédent primaire toujours plus grand pour stabiliser la dette.
Et cet effet boule de neige est d’autant plus grand que le stock de dette initial est important. C’est là que ça deviendrait dangereux !
Qu’en sera-t-il alors à l’avenir ? La plupart des économistes pensent que les pays comme la France vont continuer à bénéficier d’un effet « boule de neige » favorable pendant une longue période. Et je ne pense pas que la crise du Coronavirus change le diagnostic.
Commençons par la croissance nominale. Le consensus est que la croissance potentielle de l’économie française est de 1,3 %. Même avec une inflation un peu en-deçà de la cible de la BCE de 2%, on devrait donc avoir une croissance nominale de l’ordre de 3% à moyen terme.
Qu’en sera-t-il du taux d’intérêt payé sur la dette ? C’est là que ça devient plus difficile car il faut estimer quel serait le « vrai » coût de financement de l’Etat français si la BCE « normalisait » sa politique et arrêtait ses interventions.
Avant la crise du Coronavirus, la BCE estimait que ses interventions diminuaient le coût de financement de l’Etat français à 10 ans de 150 points de base environ. Autrement dit, le « vrai » coût de financement à 10 ans devrait être à 1,5 %, et non à 0 %.
Cela signifie que l’essentiel de la baisse du coût de financement des Etats ne s’explique pas par la politique monétaire mais par des facteurs structurels (excès d’épargne et déficit d’investissement) qui sont là pour durer. C’est le consensus académique.
Avant la crise du Coronavirus, on pouvait donc légitimement penser que le coût de financement de la France (1,5 % à 10 ans, plutôt 1 % en moyenne car l’Etat s’endette aussi à court terme) resterait significativement inférieur à la croissance nominale (3 %).
Il n’y avait donc vraiment pas de quoi s’inquiéter : un modeste déficit primaire aurait été selon toute vraisemblance suffisant pour stabiliser la dette.
Qu’en est-il désormais ? Il faut prendre en compte que la hausse de l’endettement devrait conduire les marchés à nous prêter un peu plus cher.
De combien ? Le FMI et la Commission européenne considèrent que chaque point d’endettement supplémentaire augmente le coût de financement à long terme des Etats de 3 à 4 points de base en zone euro en moyenne.
Donc si la crise du Coronavirus augmente de 30 points l’endettement public, le coût de financement à long terme devrait augmenter d’un point environ.
Autrement dit, le coût de financement à 10 ans serait autour de 2,5 % (et le coût moyen plutôt à 2% car une partie de la dette est à court terme) et la croissance potentielle nominale autour de 3 %. On ne devrait donc pas avoir d’effet boule de neige négatif.
Bref, je ne suis pas du tout inquiet sur la soutenabilité de la dette française à court terme et plutôt confiant également à moyen/long terme.
En revanche, ce qui m’inquiète beaucoup, c’est que les craintes sur l’endettement ne conduisent les pouvoirs publics à ne pas soutenir assez l’économie pendant la crise et à essayer trop rapidement de revenir à l’équilibre ensuite.
Cela se traduirait par une destruction de capacités productives qui pèserait durablement sur la croissance potentielle (et donc sur notre capacité de remboursement!).
Malheureusement, c’est ce qu’on constate historiquement : une étude a par exemple montré que les Etats endettés connaissent en moyenne une perte de PIB de 7 points en cas de crise, contre une perte proche de zéro pour les Etats peu endettés, toutes choses égales par ailleurs.
Les auteurs indiquent que le principal facteur explicatif n’est pas l’impossibilité pour les Etats endettés de dépenser du fait de la défiance des marchés mais par une forme d’« auto-limitation » de leur part. https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2019/03/Fiscal-Space-and-the-Aftermath-of-Financial-Crises.pdf
Bref, c’est le moment d’appliquer le « quoi qu’il en coûte » présidentiel, sans s’inquiéter trop de l’endettement qui en résulte.
Malheureusement, on constate déjà en zone euro que les Etats peu endettés (ex : Allemagne) soutiennent beaucoup plus fortement leurs entreprises que les Etats plus endettés (ex : France).
La France privilégie pour l’instant des mesures de trésorerie visant simplement à permettre aux entreprises d’étaler leurs pertes sur quelques mois, alors que l’Allemagne accepte de socialiser beaucoup plus largement les pertes.
Pour ne donner qu’un exemple, le fonds de soutien allemand aux TPE est doté de 50Md pour distribuer des subventions, contre 1,7Md en France (bientôt 6Md).
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