Vous voulez savoir pourquoi les vérifications d’attestations, qui sont nécessaires, constituent en pratique des contrôles d’identité détournés totalement illégaux?

A thread (un peu long, désolé) ⬇️
J’ai lu plusieurs juristes expliquer ici que les deux n’ont rien à voir. La vérification d’attestation étant une lex specialis qui vise une vérification, elle déroge forcément au régime du contrôle d’identité. Mais en fait ce raisonnement est totalement inapplicable.
Quand on lit attentivement le décret du 23 mars 2020, on constate que la liste des agents habilités à procéder à ces «  vérifications » est très large: officiers de police ou de gendarmerie, agents de police nationale et municipale, gardes champêtres, agents de la ville de Paris
contrôleurs de la préfecture de police de Paris et agents de surveillance de Paris. Bref, pas seulement des agents qui ont la qualité d’officier de police judiciaire
Et quand ils procèdent au contrôle, il doivent vérifier l’existence de l’attestation et le motif du déplacement. Et pour vérifier si celui qui atteste est bien celui qui est dehors, ils doivent également vérifier la correspondance de l’identité
Ce qui est intéressant, c’est que le décret du 23 mars ne prévoit absolument pas la nécessité de présenter une pièce d’identité. Et ce n’est pas innocent. En droit, ces agents on a pas le droit de vous demander de justifier de votre identité
Pourquoi me direz-vous? Et bien le décret (codifié à article L. 3136-1 du code de la santé publique) prévoit seulement que ces agents contrôlent la possession et le contenu de l’attestation dérogatoire. Rien d’autre.
Or, notre droit pénal encadre de manière précise les contrôles d’identité. Enfin « précise », c’est un grand mot puisque les contrôles d’identité peuvent être effectués en dehors de toute appréciation du comportement d’une personne. Je vais y venir.
Ce qu’il faut savoir, c’est que le contrôle d’identité ne peut être opéré que par des officiers de police judiciaire ou sous leur responsabilité par des agents de police judiciaire et pour des motifs limitativement énumérés par l’article 78-2 du Code de procédure pénale.
Par exemple la police municipale n’est pas habilitée à effectuer de tels contrôles, car la qualité d’OPJ lui fait défaut (plusieurs propositions de loi ont été déposée dans ce sens, mais sauf erreur, aucune n’a été adoptée)
Concrètement, un contrôle d’identité peut être effectué s’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit, qu'elle peut renseigner la police
qu’elle a violé les obligations ou interdictions auxquelles elle est soumise dans le cadre d'un CJ ou d'une mesure d'assignation à résidence avec surveillance électronique, d'une peine ou d'une mesure suivie par le JAP ou qu'elle fait l'objet de recherches ordonnées par un juge.
Un contrôle peut être également effectué sur le fondement d’une réquisition qui délimite l’étendue territoriale et la durée dans le temps des contrôles qui sont nécessairement temporaires
Enfin, un contrôle d’identité dit « administratif » peut également être opéré quel que soit le comportement de la personne, pour « prévenir une atteinte à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens »
Ces contrôles d’identité qualifiés de contrôles au faciès parce qu’ils ne reposent pas sur le comportement de la personne mais sur un motif parfaitement subjectif, ont justifié qu’on s’interroge sur la remise d’un récépissé de contrôle permettant de contester le motif
Si ça vous intéresse, j’avais même rédigé en 2011 une proposition de loi qui avait été déposée par la sénatrice écologiste Esther Benbassa mais jamais adoptée https://www.senat.fr/leg/ppl11-104.html
Dans le régime de vérification d’attestation, les agents habilités n’ont pas tous la qualité d’OPJ. Pourtant, dans les faits, il procèdent systématiquement à un contrôle de l’identité (si je contrôle quoi, je contrôle nécessairement qui) au mépris de l’article 78-2 du cpp
Je résume : pas de motif à invoquer pour vérifier l’attestation, vérification de l’attestation qui entraîne un contrôle d’identité de fait, pas de qualité d’OP pour contrôler l’identité, pas de motif pour contrôle l’identité: autant dire qu’il n’y a plus de critères
Voilà comment on a créé une machine de guerre visant à un contrôle généralisé de la population sans fondement si ce n’est l’état d’urgence sanitaire
Si le gouvernement avait voulu assumer cette utilisation détournée du contrôle d’identité, il aurait abrogé ou suspendu l’article 78-2 du cpp. Mais voilà: il existe, autant le respecter
Quelle conséquence me direz-vous? Et bien les mêmes que les contrôles au faciès, mais de manière exponentielle: le risque est qu’ils dégénèrent en contrôles discriminatoires fondés sur la seule apparence de la personne.
L’histoire montre que les lois les plus attentatoires aux libertés sont celles qu’on a dégainé pour répondre à des circonstances spécifiques et qu’on a pérennisé et intégré dans le droit commun. Notre droit commun est fait de lois d’exception qui ont duré
L’excellent @raphkempf vous en parlerait mieux que moi. Et nous devons continuer à dénoncer ces dérives car elles ont aujourd’hui des impacts directs sur les droits de La Défense, y compris devant les juridictions qui continuent à expliquer qu’il n’y a pas de contrôle d’identité
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