Parce que vous n'avez rien de mieux à faire de votre soirée, je vous propose un petit thread de lecture de Lucien Leuwen : 👇

"Si la police rend imprudente la publication, on attendra dix ans." (spoiler, on en a attendu soixante)
Lucien Leuwen, beau, grand, désabusé, se fait virer de Polytechnique pour être sorti se promener pendant l’insurrection de 1834.

Comme son père est à peu près l’homme le plus riche de Paris, il se la coule douce dans les dîners mondains et les salons bourgeois.
Seulement voilà, Lucien, la banque et l’opéra, ça lui en touche une sans trop faire bouger l’autre.

Ce qui le ferait mousser, c’est de s’engager dans l’armée, parce qu'un jour, une femme lui a dit qu'il portait bien l'épéé.

Vous commencez à cerner le gaillard.
En bon héros stendhalien, voilà t'y pas qu'il intègre le 27e régiment de lanciers, non sans avoir tergiversé, parce qu'au 9e, où il y avait aussi de la place, ils ont des passe-poils jonquille, que c'est plus gai et que l'essentiel, pour un uniforme, c'est d'être joli au bal.
(Au passage, on est en plein dans le syndome d'Austerlitz cher à Stendhal, qu'on peut retrouver plus tard chez Barrès et Nimier, mais c'est une autre histoire).
Lucien se fait troller un petit coup par son père qui pense qu'il ne va pas tenir longtemps, et puis il part en garnison à Nancy, enfin un Nancy qui ne ressemble pas du tout au vrai Nancy, si vous avez déjà eu l'occasion d'aller à Nancy.
Une fois arrivés, on découvre que ce Nancy de pacotille est divisé en trois factions, les ultra, qui désirent le retour de Charles X au pouvoir, les juste-milieu, qui soutiennent la Monarchie de Juillet, et les républicains, qui, je vous le donne Émile, veulent la République.
Notre pauvre Lucien n'arrive pas à se faire d'amis. Au régiment, on trouve que c'est un fils à papa, les officiers se méfient de lui, la noblesse du coin le prend pour un juilletiste et les seuls qui l'invitent pour le café, c'est des républicains qui veulent tout faire péter.
Comme il tourne en rond et qu'il manquait un peu de piquant sentimental à son histoire, il tombe raide dingue de Bathilde de Chasteller. Manque de pot, il y a pas plus ultra dans la région, son daron c'est le pote de Charles X, du coup elle le calcule même pas.
Lucien, le respect de l'espace privé, il connaît pas trop, donc il commence à faire le planton devant chez elle dès qu'il a un moment de libre, en fumant des petits cigares que son père lui envoie et en guettant à travers les volets.

Je vous cache pas qu'il est un peu creepy.
A ce stade, je vais arrêter de suivre le roman de manière linéaire parce qu'on se paye 40 pages de Lucien et Bathilde en PLS sentimentale, 2 pages d'intrigue intéressante, puis de nouveau 40 pages de Lucien et Bathlide en PLS sentimentale, et ainsi de suite ...
Parce que oui, évidemment, Bathilde, malgré ses jolis airs, en pince secrètement pour Lucien, mais ça ne se fait pas, et que diraient les voisins, et si Papa apprenait ça ... Elle sait jamais ce qu'elle veut.
Toujours est-il que Lucien il est DTR ! Pour commencer, il se met à snobber la plèbe, se loue un petit hôtel particulier et achète des livrées fantaisistes pour ses domestiques, qu'il fait venir de Paris, c'est petit déj' au lit tous les jours !
Il se met à déployer des trésors d'ingéniosité pour intégrer le club edgy des royalistes ultra.

Il va à l'église et sacrifie un pantalon blanc de la plus exquise fraîcheur pour faire comme tout le monde et se mettre à genoux pendant la prière. Il est DTR qu'on vous dit !
A force d'insister et de se battre en duel (oui il fait ça aussi), il finit par se faire inviter à la boum du siècle : LE BAL DE LA MARQUISE DE MARCILLY.

La haute société de Nancy est en feu, Lucien et Bathlide SE PARLENT, mais elle se pâme.

#Drama
Le temps passe, nos petits tourteraux continuent à se tourner autour et s'écrire des lettres, quand Stendhal en profite pour nous sortir une petite intrigue politique de derrière les fagots, noyée dans une centaine de pages à l'eau de rose.

Habile moyen de tromper la censure.
Lucien, qui se rêvait chargeant les prussiens sabre au clair, se retrouve embarqué avec tout son régiment pour aller matter une grève ouvrière dans la campagne meurthe-et-mosellane.

On assiste alors à une lutte de pouvoir drôlement intense entre le colonel et le sous-préfet.
Quand je vous dis drôlement intense c'est ironique hein, ils passent la journée en plein soleil sans parvenir à se mettre d'accord sur la suite des actions : le sous-préfet veut un bain de sang pour devenir préfet, le colonnel veut éviter la bagarre pour passer général.
Finalement, c'est plié en deux temps trois mouvements, tout le monde rentre chez soi, et on est repartis pour une centaine de pages sur les amours interminables de Bathilde et Lucien.
Allez savoir par quel miracle, ils finissent tout de même par se rapprocher et se voir de temps en temps.

Au bout d'une cinquantaine de visites, Lucien essaye de lui embrasser la main mais il se prend une volée de bois vert : on est pas au bordel ici !
D'ailleurs Lucien commence à en avoir assez de jouer au pot de fleur dans le salon de Mme. de Chasteller.
J'essaye de m'accrocher parce qu'on m'a promis que la seconde partie est plus vivante, mais je vous assure que leur mièvrerie et leur indécision commencent à me tapper sur le système.
On va s'arrêter là pour aujourd'hui, la suite au prochaine épisode !
Pendant que la soupe est sur le fourneau, je reprends le fil de ce thread pour terminer la première partie du roman.

Pour notre plus grand bonheur et leur plus grand malheur, les histoires de Lucien et Bathlide de Chasteller finissent donc par avancer.
Comme Bathlide est indécise, elle reste confinée chez elle. On ne la voit plus aux soirées, et ça commence à bitcher sévère dans son dos.

Comble du comble, elle fait un petit burnout et tout le monde pense qu'elle va nous claquer entre les doigts.

Double dose de #Drama
En représailles, le père de Bathilde, qui, je le rappelle, pèse dans le game monarchique, envoie un de ses sbires pour poucave sur le passé républicain de Lucien et pourrir sa réputation dans les salons de Nancy.

Manque de pot, tout le monde s'en fout.
Saut que Lucien, qui est monté sur des ressorts et déborde d'énergie, les mots doux, ça lui va bien cinq minutes.
Histoire de vous donner une petite idée, je vous propose un morceau choisi de ses petits arrangements : "Madame de Chasteller pour les plaisirs du coeur, et Madame. d'Hocquincourt pour les instants moins métaphysiques."

Et là, c'est le drame.
Déjà, Bathilde, du fond de son lit, en profite pour tomber dans l'autoflagellation, et vas-y que j'me trouve moche, et Lucien a bien raison d'aller voir ailleurs ...

Du côté des jeunes gens de Nancy, ça commence aussi à chauffer.
Non content d'avoir séduit Mme. de Chasteller, à laquelle ils se seraient tous bien vu mariés, il monopolise Mme. d'Hocquincourt, qui est déjà mariée, certes, mais pas très farouche.
Un beau matin, une poignée d'entre eux décide de provoquer Lucien en duel histoire d'en finir une bonne fois pour toute.
C'est le moment que choisit le Dr. Du Poirier pour filouter tout son monde.

Il va voir la gang de jeunes qui se prépare à se battre avec la moitié de la garnison de Nancy et leur fait croire que son pote LE ROI CHARLES X EN PERSONNE a dit "pas de vagues".
Mais ils en ont rien à foutre.

Du coup il change de stratégie et il leur explique que Bathilde voudra certainement encore moins se marrier avec eux si ils flinguent Lucien.

Là, ça les calme.
Sauf que la situation ne convient à personne, donc il faut s'arranger pour que Lucien quitte Nancy histoire de pouvoir reprendre une petite vie bien peinarde comme avant.

Et là, le Dr. et le peuple de Nancy nous sortent un plan à faire pâlir d'envie Agatha Christie.
Je vais essayer de faire simple, parce que ses petites manigances m'ont retourné le cerveau.

Alors que Bathilde est toujours en PLS dans son hôtel particulier, le docteur, qui a bien compris que c'est juste un rhume, lui fait croire qu'elle a le cancer de l'amour.
Comme personne ne sait tenir un secret dans ce pays, toute la ville est au courant et Lucien accourt chez elle pour prendre de ses nouvelles, mais le bon docteur frappe à nouveau.
Alors que Lucien est caché dans un placard, il voit passer une domestique avec un bébé dans les bras.

Un. Bébé. De. Bathilde.
Qui vient tout juste de naître.
Alors qu'ils se sont à peine touché la main !

Lucien dans son placard :
Plot twist : tout était en fait mis en scène par le docteur, dont tout le monde se moque toujours parce qu'il est ultra sans être noble.

Il savoure sa petite victoire dans son coin.
Toujours est-il que le plan fonctionne. Lucien enfourche son cheval et cavale jusque Paris pour se réfugier dans les bras de sa mère, qui lui demande s'il a besoin d'argent (les mamans resteront des mamans).
Ainsi se termine la première partie de Lucien Leuwen.

Pour vous donner envie, la seconde partie c'est du drama parlementaire, de la haute fonction publique et de nouvelles aventures sentimentales inintéressantes.

On se retrouve au prochain épisode.
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