Je n’en peux plus de l’individualisation permanente des responsabilités opérée par les pouvoirs publics, relayée par la plupart des médias et intégrée par une très large partie de la population.
Voilà trois semaines que nos comportements individuels sont scrutés, traqués, vilipendés et condamnés comme s’ils avaient plus d’effets que des décisions de politique sanitaire concrètes à l’échelle nationale.
Dans les discours de nos représentants, dans les journaux télévisés, dans les groupes Facebook de confiné·es ou les conversations de palier, on rapporte, on accuse, on juge les attitudes de chacun et chacune.
Ceux qui ont quitté la ville, ceux qui achètent plus que nécessaire, ceux qui sortent de chez eux, ceux qui ne remplissent pas leur attestation de déplacement...
Certaines de ces attitudes, si elles sont compréhensibles, sont dangereuses. Il est évidemment indispensable de faire comprendre à toutes et à tous qu’il faut rester chez soi et suivre les recommandations sanitaires liées au confinement.
Est-il cependant nécessaire, alors que ces règles sont massivement suivies, de systématiquement montrer du doigt ceux qui ne les respectent pas à la lettre, comme s’ils étaient les premiers responsables de la situation que nous vivons ?
Est-il nécessaire que la gendarmerie se moque des personnes qu’elle verbalise et diffuse leur photo, même floutée ?
Est-il nécessaire que les journalistes reprennent les « anecdotes » de non-respect du confinement livrées par les forces de l’ordre ?
Comment présenter ces comportements comme « irresponsables » – certains le sont, sans aucun doute – sans néanmoins les mettre en parallèle avec les errements et les contradictions de l’exécutif sur la mise en place du confinement ?
Rapporter ces faits sans rappeler que le gouvernement a tardé à prendre la mesure de la gravité de la situation, qu’il a maintenu le premier tour des municipales ou qu’il oblige un tiers des travailleur·ses à continuer de se rendre sur leur lieu de travail est biaisé.
Interroger ce même gouvernement sur notre conduite à tenir sans l’interpeller sur les preuves de ses mensonges et erreurs dans la gestion de cette crise sanitaire (49.3 retraites préféré au conseil Covid, départ de Buzyn, masques, dépistages, retard des mesures de confinement)...
C’est faire porter la responsabilité de la sortie de crise aux soignant·es (appel au front), aux citoyen·nes (appel aux dons) et déporter notre regard des pouvoirs publics vers l’individu. C’est retirer à cette catastrophe sanitaire, économique et sociale son caractère politique.
Le paroxysme de ce processus a été atteint avec les propos du préfet Didier Lallement, unanimement décriés. Ils ne sont pourtant que le prolongement excessif de cette décharge de responsabilité de l’État au détriment de ses citoyen·nes.
L’étape d’après étant bien entendu d’appliquer le même procédé à celles et ceux qui s’efforcent de faire ce travail de remise en perspective et cet exercice critique.
Rien de tout ça n’est étonnant : le néolibéralisme a pour principe, au motif de responsabiliser l’individu, de lui transférer l’entière responsabilité de son sort... et d’en décharger ainsi le système.
On a vu ce procédé appliqué au travail (c’est la faute des chômeurs), aux retraites (c’est la faute des régimes spéciaux), aux aides sociales (c’est la faute des fraudeurs), à l’environnement (c’est la faute de non écolos) et donc ici à une crise sanitaire.
Il est indispensable de replacer ce que nous vivons dans son contexte politique, sans quoi nous nous tromperions non seulement sur les comptes, mais aussi sur les enseignements qu’il faudra en tirer.
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