Thread (et unpopular opinion, qui sait ?): de la distinction entre un grand artiste et un grand rappeur. Cette distinction n’est pas une opposition. On a des grands rappeurs qui sont de bons artistes mais aussi de grands rappeurs qui sont de bons artistes. 1/n

Pour moi, je pense qu’il y a deux cas évidents de cette distinction à relever. L’un en France et l’autre aux US. 1.5/n

Aux US, le cas le plus évident, c’est Kanye West et Drake. Drake est un bien meilleur rappeur que Kanye. Même si, d’un album à l’autre, son écriture est irrégulière, il a une plume acérée, capable d’être technique mais aussi d’emprunter plusieurs angles. 2/n

Drake a fait preuve d’une progression constante sur le plan lyrical. Malgré quelques maladresses, sa régularité est bien supérieure (Kanye a plutôt régressé sur ce point). En témoignent des démonstrations techniques comme “Omertà” ou “Chicago freestyle”. 3/n

Ses morceaux fleuves sont remarquables, les schémas multisyllabiques se filent et se rompent soudainement avec des placements surprenants. Sa gestion des cadences est exemplaires, sa maîtrise vocale lui permet d’alterner des flows rap et mélodieux de manière fluide 4/n

Mais Drake est aussi un grand artiste. Grâce à Noah40 et à Boi-1da, il donne à Toronto une identité musicale singulière : éthérée, nocturne mais paradoxalement pesante. Idéale pour l’introspection et la mélancolie amoureuse. Son évolution musicale est observable. 5/n

Le son + trap et egotrip de IYRTITL opère un changement loin du son brumeux et introspectif de NWTS. Views, avec ses sons aux inspi’ Afropop et dancehall, lance une tendance durable dans le champ de la pop music occidentale. L’appropriation du dancehall se généralise. 6/n

Drake est un grand artiste. C’est indéniable. Mais Drake n’est pas un artiste de la carrure de Kanye West. Drake a évolué mais Drake n’a pas changé radicalement de projet en projet comme l’a fait Kanye. On trouve tjrs des facettes des projets précédents sur chaque nouveau LP. 7/n

Car, plus encore, Kanye s’est réinventé. Personne, en écoutant pour la 1ère fois (et à l’aveugle) Late Registration et Yeezus à la suite ne pourrait soupçonner qu’il s’agit du même esprit. La palette musicale de Kanye est immense. 8/n

Du jazz à l’industrial, de la ballade noyée d’autotune au banger trap, de l’orchestral aux samples d’electro French touch, on trouve une variété immense dans la discographie de Kanye. Mieux encore, Kanye forme un lien cohésif entre fond et forme 9/n

+ que des aventures musicales, ses expérimentations sont autant de nouveaux biais d’expression pour lui. L’industrial fracassant de “Yeezus” véhicule au mieux sa mégalomanie et son instabilité mentale face à une société pleine de vices qu’il hésite entre embrasser et rejeter.10/n

L’autotune étendu sur les couches de synthé froid de “808s” forme un contraste complémentaire avec son deuil et sa post-rupture. Citons l’ambition baroque de MBDTF qui voit pour lui l’occasion d’exprimer aussi bien sa folie des grandeurs que ses plus profondes vulnérabilités.11/n

Kanye n’est pas un rappeur très technique bien qu’il n’ait pas à rougir. Il a besoin d’assistance pour l’écriture (celle de Malik Yusuf, souvent, parfois même celle de Drake). Mais il sacrifie souvent ses aspects pour traduire au mieux ses sentiments de la manière la + brute.12/n

On peut sans difficulté affirmer que Kanye est un bon rappeur, mais Drake le surpasse sur ce point. Kanye l’avouera lui-même à Taylor SWIFT dans cette vidéo qui a leak il y a peu :

https://streamable.com/fo9no 
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On ne peut pas nier que la vision artistique de Kanye s’est avérée plus profonde et grande que celle de Drake. Étrangement, de cette rivalité est née une émulation mutuelle. Drake fut influencé par “808s” mais Kanye fut aussi poussé, par l’ascension de Drake, à se surpasser. 14/n

Kanye avoua que c’était le succès soudain de Drake qui le poussa lui et Hov à sortir “Watch the Throne” :

https://92q.com/3794156/kanye-says-watch-the-throne-came-from-drakes-pressure/

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En France, on a un autre exemple de cette distinction, non pas dans le cadre d’une rivalité parfois malsaine mais bien dans celui d’un respect et d’une appréciation mutuelle :

Nekfeu et Alpha Wann. 16/n

Alpha Wann est sans doute la meilleur rappeur français actuel en termes de rap “pur” (épuré de toute influence R’n’B, pop, dancehall etc.). Kickage, placements, schémas de rimes, sens de la formule... Alpha excelle. 17/n

À ce talent s’ajoute une sensibilité profonde liée aux codes du hip hop. Son savoir immense lui permet de saisir au mieux les éléments de langage, les références et l’esthétique de cette culture. Alpha comprend le rap comme très peu de personnes. 18/n

Du nom de son label en passant par les évocations culturelles (et l’imaginaire commun qui peut en découler chez ceux qui les saisissent) précises qui ressortent de ses textes, tout témoigne d’une passion certaine. Mais Alpha est aussi un grand artiste. 19/n

C’est ce qui lui permet d’éviter le piège de nombreux autres grands rappeurs, performants mais incapables de produire un projet solo à la hauteur de leurs ambitions formelles. Alpha n’est pas Ill, Alpha n’est pas Jadakiss. Alpha sort donc UMLA. 20/n

Sans sacrifier son efficacité, il parvient à offrir un LP cohésif, à la limite de l’album concept, qui explore ses failles et met en lumière cette dichotomie qui le tiraille: le capitalisme outrancier de ce rap qui le passionne d’un côté, le besoin de religiosité de l’autre.21/n

Nekfeu voit en Alpha son rappeur préféré. Mais il n’a pas à rougir, il lui tient tête sur leurs featurings et cultive d’autres qualités : variations de flows, de tons, maitrise des paronomases etc. Mais Nekfeu sacrifie parfois le rap brut pour atteindre des envolées lyriques.22/n

Aussi, Nekfeu s’aventure dans d’autres genres, ses influences sont plus variées, on y croise du jazz (expérimental ou + dansant), des influences même rock voire dreampop. Bref, un goût pour l’éclectisme, loin de la cohésion quasi-parfaite des œuvres d‘Alpha Wann. 23/n

La musique est un chaos organisé où chaque morceau est lié est un autre si bien qu’on ne s’en rend compte parfois qu’en lecture aléatoire. À la fois linéaire et complexe, la discographie de Nekfeu est pleine d’autoréférences qui brodent le fil d’une continuité narrative. 24/n

Nekfeu cultive le paradoxe et l’épopée qu’il nous offre n’est pas tournée vers l’extérieure mais est introspective. Quand il fait le tour du monde comme sur “LEV”, c’est toujours en lui-même qu’il voyage le plus, comme il le remarquera dans la conclusion de son documentaire.25/n

À défaut d’une cohésion musicale, c’est une cohérence quasi-narrative que Nekfeu déploie. Les motifs symboliques sont nombreux et renforcent l’intérêt de chaque écoute. Cet élément échappe toutefois à l’immense majorité de ses auditeurs, critiques/journalistes y compris. 26/n

Pourquoi cette distinction importe ? Parce qu’elle nous permet de mieux saisir la place de chaque artiste dans l’échiquier culturel. Elle nous évite aussi des débats inutiles parce qu’elle nous permet de nous recentrer sur des points de comparaison plus pertinents. 27/n

Quand on compare des mastodontes, il est plus raisonnable de voir ce qui les distingue plutôt que d’essayer d’établir une hiérarchie arbitraire. 28/n

Arrêtez de répéter “un tel > un tel”, bande de putains de déficients. Ça a du sens quand vous comparez Django et Salif, parce qu’il y a un vrai écart de talent, pas quand vous comparez Salif et Nubi. 29/29

PS : Pardonnez mes maladresses de style ou mes fautes, je me relis rarement et puis il est 4h du mat, bordel