POURQUOI LE SÉNÉGAL DOIT-IL PASSER DE LA PUISSANCE PATERNELLE À L’AUTORITÉ PARENTALE ?

(Petit thread)

Au Sénégal, le code de la famille prévoit qu’il « est pourvu au gouvernement de la personne du mineur par la puissance paternelle ».
En clair, les décisions relatives au mineur seront prises par le titulaire de cette puissance paternelle. De même, le titulaire de la puissance paternelle sera chargé d’administrer les biens de l’enfant mineur et aura la garde de cet enfant.
Le législateur sénégalais prévoit que la puissance paternelle appartient « conjointement » au père et à la mère de l’enfant. Cependant, pendant le mariage, cette puissance paternelle est exercée – comme son nom le laisse d’ailleurs deviner – par le père.
La mère n’exerce la puissance paternelle que dans des cas limitativement énumérés par la loi.
Ce sera le cas si le père est totalement ou partiellement déchu de sa puissance paternelle, si le père n’a plus la qualité de chef de famille (oui, le législateur parle encore de chef de famille. Passons, passons ! ), si le père est condamné pour abandon de famille
ou si la puissance paternelle est déléguée à la mère. Vous l’aurez compris, pour que la mère puisse exercer la puissance paternelle du vivant du père, il faut qu’un juge intervienne.
Dans le cas où le père prendrait des décisions contraires à l’intérêt de l’enfant, le législateur ne prévoit qu’une faculté pour la mère de saisir le juge pour que lesdites décisions soient modifiées.
Elle n’a donc même pas le pouvoir de prendre elle-même des décisions dans l’intérêt de son enfant mineur. Si l’on était en présence d’une autorité parentale, avec un véritable exercice conjoint de ladite autorité, la mère pourrait, dans un tel cas de figure, prendre elle-même
des décisions conformes à l’intérêt de l’enfant mineur sans avoir besoin de recourir à un juge.
Vous allez peut-être considérer que je chipote et qu’il ne s’agit au final que de « termes juridiques sans grande différence », mais pas vraiment.
Par exemple, lorsque la mère veut voyager avec son enfant mineur, elle doit obligatoirement présenter une autorisation de sortie du territoire, autorisation qui – surprise, surprise ! - est signée par le père de l’enfant.
A titre de comparaison, c’est la même autorisation que doit présenter un accompagnateur d’un enfant mineur dans le cadre d’une colonie de vacances qui se déroule hors du territoire sénégalais.
La mère doit donc présenter, pour voyager, le même document qu’une personne « extérieure » devrait présenter pour voyager avec l’enfant mineur. Vous voyez où je veux en venir ? Ceci est une conséquence directe de la notion de «puissance paternelle» et de son exercice par le père.
S’il s’était agi d’une autorité parentale, chacun des parents pourrait voyager seul avec son enfant sans qu’il ne soit nécessaire que l’autre donne son aval. Un autre problème transparaît à la lecture des dispositions du code de la famille sénégalais, toujours à ce sujet.
En cas de décès de l’un des époux, la puissance paternelle revient au conjoint survivant. Logique, me direz-vous. Cependant, pour la veuve – et uniquement pour la veuve – tout parent (au sens large) peut demander au juge de fixer autrement les conditions d’exercice de la
puissance paternelle. En clair, une personne autre que la mère peut être amenée à exercer la puissance paternelle si elle en fait la demande devant le juge. On va passer sur le fait que cette disposition ne s’applique, je me répète, qu’à la mère de l’enfant.
Puisque l’on est en présence d’une puissance paternelle, il est évident que le décès de la mère n’aura donc aucune incidence sur l’exercice de cette puissance paternelle sur l’enfant mineur.
Là où je voulais en venir en mentionnant cette disposition, c’est qu’elle n’énumère pas les cas dans lesquels un « parent intéressé » pourrait faire cette demande auprès du juge. Le seul exemple donné – et c’est là, à mon sens, que réside le problème – c’est le cas où la veuve
se remarierait. Si l’on se réfère donc à ce texte, un parent pourrait, en cas de décès du père suivi d’un remariage de la mère, demander à être investi de la puissance paternelle en raison du remariage de la mère et sous couvert de l’intérêt de l’enfant (qui a décidément bon dos)
Ce n’est qu’une situation marginale, me direz-vous. Mais le simple fait que cette hypothèse soit envisageable est, à mon avis, hautement problématique et montre de façon claire la place insignifiante qu’accorde le législateur à la mère de l’enfant.
En effet, je vois très mal comment l’on pourrait considérer que parce que la mère s’est remariée suite au décès du père de l’enfant, une tierce personne pourrait avoir la possibilité de se voir attribuer la puissance paternelle.
Évidemment, la réciproque ne s’applique pas s’agissant du père, parce que le décès de la mère – je me répète encore – ne change rien à l’exercice de principe de la puissance paternelle.
Je me doute bien que, dans l’esprit du législateur qui a rédigé ce texte, il s’agissait de protéger l’intérêt de l’enfant, notamment en évitant toute forme de maltraitance à son égard de la part d’une personne qui n’était pas son père.
Et pourtant, en pratique – je ne prétends nullement détenir des statistiques à ce sujet et je ne me base que sur des « faits de société » - les enfants maltraités par un conjoint de leur parent survivant le sont plus par une belle-mère que par un beau-père.
On a bien notre « Kumba am ndey ak Kumba amul ndey » qui vient illustrer tout cela.
Si l’on avait été en présence d’une autorité parentale, et non d’une puissance paternelle, une telle possibilité n’aurait pas du tout pu être envisagée par le législateur,
tout simplement parce que le conjoint survivant, quel qu’il soit, serait seul investi de cette autorité et n’aurait pu en être déchu que s’il en avait fait la demande ou si ses agissements allaient à l’encontre de l’intérêt de l’enfant.
Voici donc quelques raisons pour lesquelles, à mon sens, il serait grand temps que le législateur sénégalais pense à supprimer la notion de puissance paternelle, hautement préjudiciable pour la mère, et à la remplacer par celle, plus juste, d’autorité parentale.
You can follow @Soukaulitz.
Tip: mention @twtextapp on a Twitter thread with the keyword “unroll” to get a link to it.

Latest Threads Unrolled: