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31 ans. Ça fait 31 ans que le véhicule le plus complexe de l'histoire a effectué son seul et unique vol, devenant ainsi par la même occasion le lancement le plus cher de l'histoire...
Revenons donc sur ce vol incroyable!
(Crédits photos à la fin)
Nous sommes début octobre 1988. Ça fait plus de 17 ans que le programme Energiya/Buran est lancé, et il s'apprête enfin à se concrétiser! Le pays y a passé plusieurs milliards de roubles et plus de 6 millions de personnes ont travaillées dessus...
En arriver là n'a pas été simple. Ce n'est pas l'objet de ce thread, mais avant d'être lancée, Buran a été testée, transportée, et ses moteurs mis à feu plusieurs fois. Début octobre, elle est enfin assemblée avec son lanceur, Energiya, et s'apprête à effectuer son 1er vol...
Le 10 octobre, le hangar de Buran s'ouvre au petit matin, et l'immense transporteur de l'ancienne fusée lunaire N1 emporte le lanceur super-lourd vers le pas-de-tir. Le transfert durera en tout 6h avant d'arriver sur la zone de lancement.
Ensuite, le gigantesque bras hydraulique de la plateforme met à la verticale les plus de 2600 tonnes d'Energiya et de Buran sur le pas-de-tir... Entourée de gigantesques paratonnerre de 250m de haut, Energiya paraîtrait presque petite!
Pourtant, le deuxième lanceur le plus puissant de l'histoire reste très impressionnant, et fait son petit effet auprès des ingénieurs et militaires qui viennent nombreux l'admirer...
La date de lancement est alors fixée au 26 octobre 1988.
Le 26 au soir, tout est prêt pour le lancement de Buran. Néanmoins, à 56 secondes du lancement, l'ordinateur de bord d'Energiya bloque le décompte à cause d'un dysfonctionnement du système de guidage azimutal... Le temps d'identifier le problème, le lancement est reporté...
Le 14 novembre au soir, le cosmodrome de Baïkonour grouille d'activité. En effet, c'est à 20h que le lanceur doit décoller! Malheureusement, divers problèmes ont fait que les ingénieurs passeront la nuit entière avant de pouvoir lancer la navette spatiale soviétique.
Deux heures avant le lancement le personnel quitte le pas-de-tir par le toboggan de 200m de long qui les mènes au bunker situé à proximité du lanceur. Ils prendront les dernières photos à ce jour d'une navette spatiale soviétique sur un lanceur à la verticale...
Petit à petit les réservoirs du gigantesque lanceur sont remplis (oxygène liquide, hydrogène liquide, kérosène...), et les systèmes de Buran sont allumés petit à petit.
Mais il y a un problème. A ce moment, le pas-de-tir est plongée dans une immense tempête de neige...
Néanmoins, Buran a été conçue pour décoller peut importe les conditions au sol (vocation militaire on le rappelle...), les vents de plus de 80 km/h n'empêcheront donc pas le décollage, fixé à 6h du matin, heure de Moscou.
Notez l'ironie, Buran (signifiant "blizzard dans la steppe") décollera au beau milieu d'un blizzard dans la steppe kazakhe...
A T-14 secondes, les 4 moteurs centraux sont allumés, rejoints 10 secondes plus tard par les 4 moteurs des boosters latéraux, puis, Energiya décolle!
Energiya s'élève dans un tonnerre assourdissant, que les contrôleurs entendent et ressentent dans leurs bunker. Très vite, elle disparaît dans les nuages pour réapparaître éclairée par l'aube au-dessus des nuages, direction l'espace!
Le vol atmosphérique est suivi en direct par des millions de téléspéctateurs en URSS, mais également par les trois avions de chasse, chargés de surveiller le bon déroulement du lancement.
Après 4 minutes de vol, Buran est déjà à plus de 50km du sol...
8 minutes après le décollage, les boosters se séparent par paire. Une paire contenait des instruments de mesure du vol à la place des parachutes de récupération. Le contenu de la deuxième paire reste à ce jour inconnu, on ne sait pas s'il y avait des parachutes ou non...
Après s'être séparée de l'étage central d'Energiya (qui sera retrouvé entier et intact dans le Pacifique), Buran est officiellement en orbite!
Buran devient ainsi la navette la plus capacitaire jamais lancée, capable d'aller en orbite complètement automatiquement.
Lorsque Buran est relâchée, sa soute est orientée vers le bas, ce qui lui permet de filmer la Terre grâce à sa caméra embarquée. Par la suite, elle réalisera sa première manœuvre orbitale, qui augmentera son apogée d'une cinquantaine de kilomètres.
Quelques minutes plus tard, Buran orientera son bouclier thermique vers le Soleil, afin de ne pas surchauffer le cockpit et la soute, bien qu'inhabités.
Vous pouvez voir ci-dessous le plan de vol exact de la navette, y compris les signatures des responsables, à droite.
Environ une heure après son décollage, Buran se prépare à un test majeur, l'ouverture de sa soute et le déploiement de ses deux bras robotiques.
Jusque là, toutes les données recueillies du vol semble montrer qu'elle se comporte exactement comme prévue...
La gigantesque soute de la navette s'ouvre, révélant comme on le voit ici une maquette de module de station spatiale (~8 tonnes), et ses deux bras robotiques (~1 tonne). Sur les images, le module de docking situé à l'avant de la navette n'était pas présent.
On a pu tester à ce moment les portes de la soutes qui servent de radiateurs thermiques, et qui peuvent légèrement se soulever.
Les résultats seront convaincants, la navette dissipant bien assez chaleur pour qu'un équipage puisse survivre.
Autre élément important qui fut testé, l'antenne de communication avec le sol, situé entre les deux roues arrières dans le bouclier thermique. Vous la voyez ici dépasser du bas de la navette.
Enfin, l'un des tests majeurs de ce vol, le déploiement des deux bras robotiques de la navette, qui se sont déployés de manière complètement automatique, et on simulé le largage d'une charge, et sa manipulation.
Toutes ses opérations se sont faites sans intervention humaine.
Buran effectuera aussi différents essais d'amarrage (factices, aucun vaisseau ne s'est amarré avec elle, du peu qu'on en sait) en simulant une rencontre avec un Soyuz, et avec une autre navette soviétique.
Après plus de 45 minutes de tests, la soute fut refermée.
A 8h20 environ, Buran alluma une dernière fois ses moteurs orbitaux pour se mettre sur une trajectoire de rentrée. Eh oui, ce vol fut assez court... La salle de contrôle décida de tester une rentrée atmosphérique de très longue durée pour tester les capacités de la navette.
A 8h40, alors que la navette survole le Brésil, on perd tout contact avec Buran. Le plasma de l'atmosphère qui l'entoure est si puissant que les communications sont impossibles.
Pendant 30 minutes de blackout, c'est l'ordinateur de bord qui choisira les actions à effectuer.
Et elles sont très nombreuses. Buran doit choisir son aéroport d'atterrissage, entre deux principaux (Yasny et Baïkonour), et les deux aéroports de secours (en Crimée et à Vladivostok (à la manière d'Istres en France)). Dans un premier temps, elle choisit de se poser à Yasny.
Pour s'y diriger, la navette "skie" sur l'atmosphère. Elle tourne ses ailes dans un sens, puis dans l'autre en se braquant plus ou moins. Elle fera ainsi pendant une vingtaine de minutes, avant de décider finalement d'atterrir à Baïkonour. Elle fera un virage de 15°...
...Ce qui fera que de nombreuses tuiles thermiques seront arrachées par la puissance de l'atmosphère (elle subira plus de 5G). Néanmoins, contrairement à la navette américaine, elle était conçue pour résister à la perte d'environ 1500 tuiles thermiques. Au total, 23 tomberont.
Buran est quasiment entièrement recouverte de tuiles. Elle servent à la protéger, mais en dessous de ces dernières une couche de résine résistante était appliquée, devant lui permettre de résister à la perte de ses tuiles. Columbia, côté américain, n'aura pas cette chance...
Pendant le reste de la rentrée, Buran perdra de nombreuses autres tuiles thermiques. Mais ça, le sol n'en sait rien. C'est seulement au bout de 30 minutes et 30 secondes que Buran sortira du plasma atmosphérique et recevra des données de la Terre.
On découvre alors une navette volant à Mach 10, en direction de Baïkonour. Immédiatement, les avions de chasse devant la suivre décollent.
Au sol c'est un immense soulagement, cette rentrée étant l'un des plus rudes qu'un vaisseau spatial ai eu à subir...
La navette manœuvre désormais comme un avion hypersonique dans l'atmosphère, il n'y a plus assez de plasma pour pouvoir "skier" dessus.
Les avions de chasse parviennent enfin à la rattraper, quand Buran arrive au-dessus de l'URSS, à 9h15 du matin.
Depuis son cokpit, un pilote filmera le retour de la navette vers Baïkonour.
Les derniers kilomètres se déroulent à la perfection, mais la navette semble se diriger trop loin pour pouvoir se poser sur la piste de Baïkonour...
En effet, elle doit encore perdre de la vitesse pour se poser. Pour ça, elle doit effectuer une, ou plusieurs boucles au dessus de la piste. Mais à la grande surprise des ingénieurs, elle changea brusquement de trajectoire à quelques kilomètres de la piste...
Finalement, elle survolera la piste avant de faire sa boucle derrière cette dernière! L'ordinateur de bord a évité à Buran de se crasher. En effet, si elle s'était posée tout de suite, elle aurait eu encore trop de vitesse! (malgré la rentrée de 30 minutes...)
Finalement, Buran, s'alignera avec la piste et effectua son approche finale en perdant encore deux tuiles thermiques, qui seront par la suite récupérées. Buran touchera le sol avec un léger décalage entre sa roue droite et sa roue gauche.
Elle passera plusieurs secondes à rouler sur ses roues arrières, les 90 tonnes de la navette reposant uniquement sur deux pneus, puis l'avant s'abaissa, les parachutes se déployèrent, et la navette s'arrêtera, plus de 45 minutes après avoir quittée l'espace.
Le décalage entre les deux roues dont j'ai parlé au-dessus était dû à l'ordinateur de bord, qui n'avait pas pris en compte que la plaque protégeant la roue avant s'ouvrait sur la droite, entraînant un poids de plus de 500kg sur ce côté...
L'ordinateur de bord décida donc de compenser cela en se penchant légèrement vers la gauche, ce qui explique donc ce décalage.
Même avec un poids de 500kg sur un côté, Buran reste imperturbable, et se posera même avec 1 seconde d'avance par rapport au planning initial!
Il est dit en salle de contrôle qu'aucun pilote humain n'aurait pu accomplir un atterrissage plus gracieux et précis que celui-ci. La fierté des ingénieurs est immense, 17 ans de leurs vies pour enfin voir le premier vol, d'ils espèrent une longue liste...
La rentrée atmosphérique de 30 minutes rappelons-le aura laissée des traces. Tout d'abord, ils constatent qu'un des types de tuiles utilisées a été brûlée sur toute sa surface supérieure, lui donnant ainsi cette couleur brune. On voit clairement la délimitation de ces tuiles:
Dès que la navette s'est posée, on se précipite pour la sécuriser, et pour effectuer un essai de sortie des cosmonautes, pour se préparer au prochain vol de Buran, qui aurait dû être habité...
On constate aussi les dégâts infligés à la navette pendant son retour...
Il est ensuite temps pour les équipes au sol de se prendre en photo devant leur gros bébé de 90 tonnes...
A ce moment, le pays entier est épaté par ce premier vol réussi de la nouvelle navette soviétique!
Des dizaines de personnes ont vu l'atterrissage, dont... Le président français de l'époque! Arrivé en Concorde la veille, il assista à ce premier vol.
Buran sera par la suite ramenée dans son hangar pour y être remise en état pour son prochain vol, prévu l'année suivante.
Le bouclier thermique aura souffert. Buran a une aile en partie à nue, l'empennage a été également endommagé, tout comme d'autres parties...
Après sa remise en état, Buran sera transportée en France, au Salon du Bourget, pour y être présentée comme pièce maîtresse de l’événement. Elle survolera les Champs-Elysées, encadrée par la Patrouille de France, avant de retourner en URSS pour son 2ème vol.
Une fois revenue en URSS, Buran sera installée sur la troisième Energiya, prête pour son deuxième vol... Mais voilà. Buran aura coûté en tout 16,4 milliards de roubles auxquels il faut ajouter environ 11 milliards de roubles pour le développement des autres équipements.
Ce coût exorbitant entraîna entre autre la chute de l'URSS en 1991. Le programme fut mis en pause jusqu'aujourd'hui, personne ne voulant mettre un trait définitif sur cet immense programme.
Les installations n'étaient alors plus entretenues...
Ce qui devait arriver arriva. Le hangar de la navette s'effondra en mai 2002, détruisant à tout jamais la seule navette Buran ayant jamais volée dans l'espace.
Buran, désormais les ailes brisée, fut démontée et mis en décharge, détruisant tout espoir de la revoir un jour.
Aujourd'hui le hangar est reconstruit petit à petit. Ce qui reste du programme c'est des hangars abandonnés, des navettes à l'abandon, et une facture exorbitante.
Le premier vol de Buran aura coûté en tout environ 7,6 milliards d'euros d'aujourd'hui...
Voilà tout ce qu'il y avait à dire sur le vol orbital de Buran. Toutes les photos utilisées ici viennent du site http://Buran.ru  que je ne peux que vous obliger à aller voir (si vous avez Google Traduction).
Sur ce, bon anniversaire Буран!

[Fin de thread]
Comme d'habitude, je vous encourage aussi à passer faire un tour sur le site Kosmonavtika de @nicolas_pillet ou de CAPCOM Espace. Ces sites ne parlent pas beaucoup du premier vol de Buran, mais abordent pleins d'autres histoires de la conquête spatiale...
You can follow @ClosertoSpace.
Tip: mention @twtextapp on a Twitter thread with the keyword “unroll” to get a link to it.

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