[Thread] [tw: Heroïne Drogues] À mon arrivée en 🇨🇭j’ai découvert qu’on y prescrivait de l’héroïne. Quelques années plus tard j’en prescris en tant qu’addictologue en devenir. Aujourd’hui je vous explique pourquoi c’est un traitement important à partir de cet article:
L’histoire de l’héroïne est fascinante. Elle n’est consommée en IV et facilement accessible que depuis peu. À la base, l’opium a été l’enjeu de conflits en Asie, entre européens et locaux. Je vous renvoie à ce chouette article de Mediapart.
On y découvre au passage qu’HSBC servait aux 🇬🇧 à écouler de l’opium en Chine contre l’avis du gouvernement chinois. Quand aujourd’hui on voit les dirigeants européens fustiger les pays asiatiques, les accusant d’être à l’origine du trafic, ça fait sourire.
Fin des années 70, l’héroïne est un problème en Europe. À la base, usagers et vendeurs sont tous condamnés, et la réduction des risques est interdite par les états. Mais tout change quand à la fin des années 80 un mal mystérieux décime les usagers et semble se transmettre...
Le HIV redistribue les cartes. Les vieux patients/es parlent de « la sale époque ». 40% des usagers IV sont touchés à cette époque, et le virus se transmet facilement. C’est à cette période que l’addictologie en tant que discipline prend la forme qu’on lui connaît.
Sans entrer dans un systeme permissif, notre système hybride mi criminalisation mi soin se met en route. On prescrit de la méthadone et l’échange de seringues devient la règle. Et rapidement les Suisses se rallient au modèle britannique : la prescription de DAM.
Di Acétyl Morphine, dont vous connaissez le nom usuel: l’héroïne (copyright Bayer).
La question se pose: la prescription d’héroïne fait elle sens? S’agit il de réduction des risques? Ou simple mesure « compationnelle »?
C’est un traitement de deuxième ligne. Swissmedic le retient pour les majeurs ayant eu 2 rechutes sous traitements conventionnels, ou avec des conséquences médicales graves (ex: endocardite), sociales graves (perte de logement, etc.) ou judiciaires graves (prison pour deal, etc).
Autre indication: dépendance aux opiacés avec double diagnostic de trouble du spectre de la schizophrènie car l’héroïne est un neuroleptique. La Diaphin (R) se présente sous formes de comprimés à libération immédiate, prolongée, et en injectable.
L’administration se fait sous supervision médicale ou infirmière, prise per os ou injection. Les protocoles sont souvent avec une prise matin et soir, et le traitement ne quitte pas les locaux (sécurisés).
L’idée, c’est que la forme rapide permet d’obtenir l’effet recherché, alors que la forme retard protège du manque, et c’est là que la magie opère. En deux mois l’évolution est favorable. Les consommations en parallèle diminuent bien plus que sous traitement conventionnel.
L’observance est svt bonne. Les consommations en parallèle sont généralement 2 fois moins probables sous héroïne que sous méthadone. Après 4/6 mois de traitement, les prélèvements urinaires en faveur d’une prise d’héroïne illicite (produits de coupe) sont généralement négatifs.
Et le coût? Important pour l’assurance maladie: ~10 fois celui d’un traitement conventionnel. Mais le gain est supérieur au coût au niveau gouvernemental: surtout en diminuant la prise en charge d’évènements graves (endocardite, overdose, décès) et au niveau judiciaire.
Le vrai problème de ce traitement c’est ce que les auteurs nomment la diamorphophobie (fan du terme) de la population. Pourtant d’un point de vue médical la littérature est en faveur de ce traitement.
La prescription reste un privilège européen : elle n’est autorisée qu’au Royaume Uni, en Suisse, Allemagne, Danemark et Pays Bas. Espagne et Canada l’autorisent dans le cadre de protocoles de recherches. C’est hélas moins répandu que les espaces de consommation sécurisés.
Espaces de consommation sécurisés (cf. mon thread sur les « bus de crack ») et dispense d’héroïne sont pour moi le futur de la discipline. Je pense qu’il faut aussi qu’on évalue l’impact de l’héroïne prescrite sur la cocaine. Les usagers/ères ont tendance à diminuer sous héroïne.
Ma perception en tant que soignant: c’est un traitement qui doit faire partie de notre arcenal thérapeutique. Pourtant, la première fois que j’ai vu un patient s’injecter de l’héroïne je me suis senti mal à l’aise. J’ai compris pourquoi certains comparent le flash à un orgasme.
La supervision de groupe qui a suivi était vraiment remuante. Ce que j’en ai retenu: « en tant que soignant on est plus à l’aise avec la souffrance qu’avec le plaisir ». C’est ce que je dois travailler en supervision du coup. C’est tout pour moi, sortez couverts et bon week-end!
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