Au milieu des années 1980 un concours national était organisé pour les écoles primaires. En CM2 nous devions faire semblant d'acheter des actions et suivions chaque jour l'évolution de leur cours, frénétiquement‼️ Un fil sur le tournant des années 1980 ou l'imposition du marché🔽
Le "néolibéralisme" est une réponse à la crise structurelle des années 1970 entraînée par une baisse importante de la rentabilité du capital. Ses défenseurs entendent dès lors diminuer les coûts de production et comprimer les salaires, afin de rétablir les marges des entreprises.
On parle du "tournant de la rigueur" en 1983. En réalité dès l'automne 1981 la politique générale change. L'abandon du néokeynésianisme (relance par l'augmentation des salaires, des pensions, des minima sociaux…) est rapide (Ici F.Mitterrand avec le "patron des patrons" Y.Gattaz
Le montant des aides publiques aux entreprises est très vite considérable, comme le dit le journal Les Echos (mars 1982): "12 milliards? Absolument pas. 15 milliards? Beaucoup plus. 30 milliards? Loin du compte. Alors combien? Eh bien probablement entre 70 et 100 milliards"‼️
Les nationalisations ont pour but premier de relancer la compétitivité des entreprises concernées (Pechiney, Rhône-Poulenc, Thomson, Bull, firmes sidérurgiques…) La lettre de cadrage de Jacques Delors à leurs nouveaux PDG est claire sur le sujet: le mot d'ordre est COMPÉTITION👇
J. Delors aux administrateurs généraux des groupes nationalisés (fév. 82) "Les critères habituels de gestion et de concurrence des entreprises industrielles s’appliqueront intégralement à votre groupe, vous rechercherez d’abord une amélioration continue de la compétitivité".
Dans ces entreprises nouvellement nationalisées, des http://xn--salari-gva.essalarié.es  évoquent cadences élevées, brimades, réductions d’effectifs, licenciements, absence de négociations sur les salaires et les conditions de travail. On est TRÈS loin du programme du PS avant 1981.
L’heure est à l’encouragement des investissements. Les subventions publiques versées aux entreprises et les exonérations fiscales voient leur montant doubler par rapport à celles qu’avaient accordées les gouvernements Chirac et Barre entre 1974 et 1981.
Le Premier ministre Pierre Mauroy déclare à propos des chefs d'entreprise: ils comprendront que "la gauche au pouvoir apporte ce que la droite n’a jamais pu leur assurer : un climat social de négociation et non d’affrontement".
Tout un discours vantant et valorisant "L'ENTREPRISE" se déploie pour accompagner cette politique. Elle n'est plus un lieu de rapport de forces entre salariat et patronat, mais présentée au contraire comme un lieu supposément harmonieux qu'il s'agit, à toute force, d'encourager.
Selon Jean Riboud, PDG de Schlumberger, conseiller de F. Mitterrand, "il appartient à la gauche de libérer l’esprit d’entreprise et les entrepreneurs, de révolutionner les mentalités dans ce domaine. Et cela, la droite ne pouvait pas le faire, seule la gauche le peut."
Dans le magazine économique Challenge, en décembre 1983, F. Mitterrand en appelle à la "redécouverte de l’entreprise" ; Laurent Fabius assimile entreprise et MODERNITÉ (un grand mot de l'époque, synonyme en fait du marché comme critère absolu, qui ne saurait être contesté).
Jacques Julliard propose de "réhabiliter le goût de l’entreprise" et que la gauche cesse d’être "un super-lobby de consommateurs, d’assistés et de fonctionnaires râleurs"😱: "le beau mot de producteurs" doit remplacer celui de "travailleurs" (octobre 1984, Le Nouvel Observateur)
Un grand battage politico-médiatique s'organise pour faire accepter le monde tel qu'il est sous l'empire du marché. M. Thatcher n'est pas la seule à dire qu'il n'y a "pas d'alternative". Selon Pierre Bérégovoy, alors ministre de l'Economie, il faut "mettre nos montres à l’heure".
Selon Pierre Bérégovoy, cette "révision doctrinale" est nécessaire: "Le marché n’est ni de gauche ni de droite. Il a une fonction d’échange qui est à restaurer" (1985). La fin tragique de P. Bérégovoy ne saurait empêcher de rappeler ce rôle-là, cette exaltation du marché.
Dans l'émission "Vive la crise!" (22 fév 84) et la livraison de Libération, Yves Montand explique: le chômage est inévitable, "les gens comme Dassault ont le droit de faire des profits", les ouvriers "maghrébins" de Talbot doivent eux aussi "se prendre par la main", se "recycler"
Le 17 juillet 1985, dans Le Matin, François Hollande, directeur de cabinet des porte-parole du gouvernement, insiste sur la nécessité de "respecter les grands équilibres au risque de sacrifier l’emploi" et vante "le dynamisme du marché financier".
Dans ce bilan édifiant, F. Hollande loue la désindexation salariale qui "a permis aux entreprises d’encaisser des gains de productivité", vante "le mouvement de désinflation quitte à contenir les augmentations salariales". Ses critères ne sont plus de gauche, tout simplement.
Relire ici ces incroyables propos de Jacques Delors (cité dans l'important livre de @bruno_amable et @StefPalomba L'Illusion du bloc bourgeois chez Raisons d'agir): il faut mener la "bataille économique joyeuse et sauvage"; "une société progresse aussi grâce à ses inégalités"/…
Delors encore: il est des "réalités aussi souveraines et immuables que les étoiles dans la nuit": la compétition, l’entreprise et le marché; "c’est la gauche au pouvoir, au prix d’une stupéfiante et cruelle révolution, qui rétablira les profits" (En sortir ou pas, 1985).
Il faut intégrer bien sûr le contexte du marché commun européen. Ce sera l'objet d'un autre fil détaillé mais déjà un rappel de ce que déclarait F. Mitterrand en février 83:"Je suis partagé entre deux ambitions, celle de la construction de l’Europe et celle de la justice sociale"
L'essayiste Jean Lacouture estime que la décision, prise par F. Mitterrand sous l'influence entre autres de J. Delors, maintenant la France dans le Système monétaire européen (SME) signe "la victoire sans réserve de l’Europe sur le socialisme". Une formule à méditer.
1988, automne social: grève des infirmières, des personnels de la Poste, d'Air France, de la RATP, des cheminots, des agents des impôts. Jean d’Ormesson dans Le Figaro: "À quoi sert la gauche si elle n’est plus capable d’assurer la paix sociale?"😱 Question cynique, question-clé.
Sur l'émission Vive la crise, ce passage dans l'excellent livre de @RomaricGodin à paraître, La guerre sociale en France : "La dramatisation s'ajoute à la culpabilisation pour finir par la glorification de l'entrepreneur, héros moderne pris à la gorge par [les] impôts."... /...
Serge July prône une "grande révolution culturelle occidentale" 😖 pour "transformer les citoyens assistés en citoyens entreprenants". Non plus "changer la vie" mais "changer de vie". Tout est là, dans cet individualisme concurrentiel et forcené, fabriqué à grands coups de médias
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