Savez-vous quelle fut l’affaire la plus médiatisée en France, entre 1870 et 1914, plus que l’assassinat de l’archiduc d’Autriche ?

Ce fut un crime commis à Corancez, tout petit village proche de Chartres.

C’est L’AFFAIRE BRIERRE
BRIERRE est un agriculture de 42 ans, travailleur sérieux, unanimement apprécié du village, veuf depuis trois ans et bon père de famille pour ses 6 enfants.
Dans la nuit du dimanche 21 avril 1901, plusieurs villageois sont réveillés par des cris :

« À l’assassin, à moi, mes amis! »

Ils découvrent par terre sur la route leur voisin Brierre, vêtements et figure maculés de sang.

Deux individus ont voulu l’assassiner.
Les voisins vont frapper chez Brierre pour prévenir ses enfants.

La porte est ouverte.

Ils entrent.

Un petit couloir donne sur deux chambres.

Ils découvrent l’horreur.
Partout, des murs poissés de sang et de matière et...

Flora, 15 ans
Béatrice, 12 ans
Laurent, 9 ans
Laure 6 ans
Célina, 4 ans

assassinés, crânes écrasés.

Seule manque Germaine, placée chez sa tante à Paris.
Le garde champêtre et le médecin sont appelés immédiatement sur les lieux et les gendarmes arrivent avant l’aube.

A 10h30, le procureur Voisin, le juge d’instruction Cornu, son greffier ainsi que le photographe Gallas arrivent à Corancez.
Le médecin légiste procède à l’autopsie :

Un seul coup identique a été porté sur le crâne des victimes pendant leur sommeil.

Les enfants ne présentent pas de mouvement de défense.
Brierre explique au juge:

il a été au café du village jouer aux cartes, puis est rentré vers minuit

Sur le pas de sa porte, 2inconnus l’attendaient et l’ont poignardé.

Il a réussi à se traîner dans la rue et à alerter les voisins.

Il pense à des voleurs car manque 1500francs
Le juge d’instruction ne croit pas le père.

Il estime son récit peu crédible et pense qu’il s’agit d’une mise en scène

ce d’autant plus que les «voleurs» ont oublié 800francs dans la commode

Mais on enquête quand même et des arrestations de cheminots sont faites dans la région
Les journalistes envahissent les rues, toquent aux portes, interrogent.

Les bonnes gens de Chartres viennent en touristes regarder la maison du crime, pendant qu’on enterre les enfants.

«La solennité du moment n’empêche pas les amateurs de photos de braquer leur objectif»
Plus de 700 personnes assistent aux obsèques, au premier rang desquelles le Préfet, le député et même l’évêque, suivis de la foule des curieux.

La récupération politique et les marches blanches existaient déjà.
La maison devient un but d’excursion :
« les cyclistes et les touristes venus de Paris », « jeunes gens de tournure et de mise élégantes qui pédalent vers la ferme sanglante […] dans l’espoir de visiter la maison».

L’affaire fait les gros titres avec moultes détails sanglants.
Le 23 avril

Sur ordre du juge, la ferme et les alentours sont fouillés et... un couteau et un gilet tachés de sang sont découverts, cachés sous du fumier.

Un gilet qui appartient à Brierre.

Le Juge inculpe Brierre, hospitalisé après son interrogatoire, d’assassinat !
Le 26 avril,

Véronique Lubin, fille d’un des voisins reconnaît être la maîtresse du veuf.

Voilà le mobile : Elle aurait, selon les journaux, refusé de l’épouser ne voulant pas se retrouver en charge de 6enfants.
Le 10 mai, on découvre une pièce de charrue ensanglanté caché sous un tas de terre.

Le 21 mai, un portefeuille contenant de l’argent et portant des traces de sang est découvert dans un mur.
Octobre le Juge clôture l’instruction et renvoie Brierre devant la cour, malgré ses protestations d’innocence

Décembre le procès débute devant la Cour d’assises de Chartres

Sous l’œil avide de la foule qui crie vengeance contre le père.

Plus de 50 journalistes sont présents
C’est le Président Belat qui mène les débat.
Il n’est guère vu comme impartial.

«Il est avec le ministère public et lui prépare la besogne» (Le Figaro). «Son interrogatoire est un véritable réquisitoire(..) il n’est pas disposé à tolérer la moindre discussion (L’Echo de Paris)
L’interrogatoire de Brierre dure 10h mais ce dernier se plaint du monologue du président : « Vous parlez continuellement, je ne puis placer un mot »
Les dépositions vagues des 87 témoins n’aident guère à se former une intime conviction.

Pas’plus que les experts venus expliquer (mal) les tâches de sang

« aucun de nous n’oserait affirmer sur son honneur et sur sa conscience que c’est Brierre qui a assassiné ses cinq enfants
Le cinquième jour du procès, est entendue la seule enfant survivante Germaine, absente de la maison la nuit du crime.

«Je demande qu’on me rende mon Papa. Je demande qu’on l’acquitte. Il était bon pour nous » sanglote t’elle en tombant à genoux
« Quelle tâche que celle des jurés, de ces 12juges à qui la loi a donné le droit de tuer. La vérité est qu’il n’est personne aujourd’hui qui puisse prétendre que Brierre est innocent, mais personne non plus qui puisse dire j’ai la preuve qu’il est coupable» va écrire 1journaliste
Le Procureur Voisin requiert un châtiment proportionné à l’atrocité du crime... la peine de mort !
Paul Comby est l’avocat de La Défense.

Il avait annoncé une plaidoirie de 7h

Ce sera une «pitoyable plaidoirie d’1h »
«il a donné à tous l’impression pénible que provoquent les efforts d’un stagiaire désigné d’offic. Jamais pour ma part je n’ai entendu plus pitoyable défense»
Le jury ne délibère qu’à peine plus d’une heure.

Ce sera... la condamnation à Mort !

« Messieurs, vous pouvez être certains que vous avez condamné un innocent » s’exclame Brierre à l’énoncé du verdict.
Mais l’affaire ne se termine pas ainsi.

Le 1er février 1902
Brierre bénéficie d’une grâce présidentielle et sa peine de mort est commuée en reclusion à perpétuité

à la suite de critiques dans la presse, notamment de la Ligue des droits de l’homme, qui dénonce 1procès à charge
Et survient alors de nouveaux rebondissements...

Que je raconterai demain car il est minuit trente et je suis fatiguée.

À demain
Bonjour.

Où en étions nous ?

Ah oui... BRIERRE part au bagne en Guyane après avoir vu sa condamnation à mort commuée en travaux forcés à perpétuité.
Pourquoi ?

A l’issue du procès L’Aurore écrit «on ne fait pas tomber la tête d’un homme sur une hypothèse»

De Guyane, Brierre continue à clamer l’erreur judiciaire

Il prend 1nouvel avocat Alcide Delmont et plusieurs personnalités du monde judiciaire créent 1comité de soutien
Alcide Delmont est un avocat parisien, secrétaire de la conférence de stage et homme politique de gauche (il deviendra député de Martinique puis secrétaire d’Etat).

Il est surtout membre du comité central de la Ligue des droits de l'homme
La Ligue des droits de l’Homme vient d’être fondée en 1898 à l’occasion de l’affaire Dreyfus, pour lutter contre les injustices

Elle va s’emparer de cette affaire et pointer les incohences de l’instruction à charge du juge cornu et la totale partialité du président de la cour
Ainsi, les témoins principaux ont été interrogés plus d’une centaine de fois

Les cafetiers Sauger : 37 fois par les gendarmes et 20 par le juge d’instruction
Les voisins Lubin : 29 fois par les gendarmes et 19 par le juge.
Les villageois ont été confrontés au milieu judiciaire dont ils ignorent tout, et ce en pleine période des semailles puis des moissons.

Le père Lubin de s’exclamer aux journalistes « Je savons point quand le juge me fera revenir. C’est ben de l’ennui tout ça »
Parallèlement ils ont été continuellement sollicités par les journalistes.
Le village est devenu l’attraction et ses habitants des familiers des lecteurs.

Ainsi « Papa Lubin »- devenu le grand ennemi de Brierre - accorde interview sur interview pendant ces 8mois d’instruction
Alors les défenseurs de Brierre s’interrogent sur le brusque changement des témoignages :

De bon père, sérieux et excellent voisin, Brierre, au fil de l’instruction est devenu 1sournois, qui trompait sa femme
... et qui aurait même volontairement incendié 1etable selon 1rumeur
Les partisans de Brierre soulèvent aussi que de nombreuses empreintes digitales ont été retrouvées sur les pièces à conviction.

Mais le juge n’a pas cru bon de demander leur analyse.

Pourtant dès 1902, Bertillon a utilisé sa technique pour élucider l’affaire Scheffer
La presse s’intéresse de nouveau à l’affaire :
se divisent les Brierrards et les anti-brierrards

Un journal publie les lettres poignantes qu’échangent Brierre et sa fille Germaine

On décrit ce prisonnier exemplaire devenu infirmier au bagne, qui se tient éloigné des «criminels»
Sur pression de la ligue des droits de l’Homme et du journal l’Aurore, le Président de la Republique Emile Loubet commet donc la peine de mort en réclusion à perpétuité

C’est un coup de tonnerre dans la France qui se déchire depuis plusieurs années sur le cas Dreyfus.
Les anti-dreyfusards clament :
«Le président grâcie un traître à la patrie, puis le plus abominable des criminels»
ces 2 qui ont «assassiné, l’un la France qui est sa mère, l’autre ces 5enfants»
Brierre bénéficie «de la coalition juive en vue de [le] soustraire à l’échafaud »
Mais l’affaire Brierre va aussi conduire alors à un débat dans la Presser et jusqu’à à l’Assemblée nationale sur l’utilité de la peine de mort et le rôle de la grâce présidentielle
Brierre est-il un « monstre » qui ne mérite que l’échafaud ? (L’intransigeant)

tout homme a t’il le droit de vivre tant que le «doute étreint les consciences et que ce doute devient une véritable angoisse»? (Le Rappel).

Quelle utilité la Mort? Et la grâce en laissant au bagne?
En 1910, Brierre voit sa peine à perpétuité réduite à 15ans de réclusion en raison de son comportement.
Il en a déjà fait 9ans

Son avocat, sa fille, son gendre soutenus par la ligue des droits de l’Homme et une partie de la presse continuent à se battre pour 1procès en révision
Mais le 28 mars 1910 Brierre, épuisé par 9 années de bagne, meurt brusquement.

Dans sa dernière lettre adressée à sa fille, il continuait à clamer son innocence.
L’affaire pour autant ne se termine pas avec la mort de Brierre et va connaître un nouveau rebondissement...
Le 22 juillet 1910

quatre mois seulement après la mort de Brierre au bagne en Guyane,

un chiffonnier arrêté pour vagabondage,

prétend être l’assassin des 5 enfants !

Il s’appelle... Joseph Bourreau
BOURREAU (!) se présente à la gendarmerie de Tours pour s'accuser d'être l'auteur des crimes monstrueux pour lequel Brierre est mort au bagne.

Mais dit-il la vérité ? Est ce vraiment l’assassin ou un fou qui s’accuse ?
Il donne des détails troublants sur les faits, notamment sur les blessures

Et on apprend que 4 jours après le crime, le juge d'instruction Cornu avait effectivement reçu une lettre d'un chemineau vagabond s'accusant du quintuple crime.

Sans que ce dernier suive cette piste.
Après quelques jours d’interrogatoires, BOURREAU se rétracte et nie les faits.

Il est libéré.
Ainsi se termine l’affaire Brierre.

Monstrueuse erreur judiciaire ou condamnation d’un assassin.
A vous de juger.

Elle fut l’occasion de débattre

de l’influence d’1instruction menée à charge,

du doute qui doit toujours profiter à l’accusé

et surtout de...l’échafaud.
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